GRANDE MARCHE de L’ETE 2005
du LABOURD et de BASSE NAVARRE
à l’ABBAYE BENEDICTINE de LEYRE.

JOURNAL

Il n’existe pas d’association qui ne puisse se vanter d’avoir mené à bien par le passé une action qui sortait de l’ordinaire : le caractère exceptionnel et la parfaire réussite de ce projet ambitieux vont, au fil des ans, le transformer en une sorte d’exploit héroïque. D’ailleurs, ne serait-il pas digne, cet acte de bravoure, d’être immortalisé au même titre que l’Iliade et l’Odyssée par un poème épique ? On se le transmettrait de génération en génération afin que ce fait d’arme exemplaire façonne le caractère des jeunes.
Tous les acteurs de cette entreprise téméraire garderont un souvenir ineffable de cette aventure vécue en commun ; ils aimeront se laisser aller, avec nostalgie mais non sans une certaine fierté, à évoquer cette époque devant leurs cadets. Et bien sûr, à force de faire revivre dans la conversation le temps béni de leur jeunesse et des premiers pas intrépides de l’association, il était inévitable qu’un beau jour germe l’idée de renouveler cette expérience. Folie ! diront les plus sages en levant les yeux au ciel. Défi à relever ! s’exclameront avec enthousiasme les plus téméraires.

Et c’est ainsi que le Dimanche 10 Juillet 2005, à l’aube d’une matinée ensoleillée, s’élancèrent, depuis le parvis de l’Eglise de Cambo, bien avant l’heure de la grand’messe, deux douzaines de courageux comptant seulement 1/3 d’hommes. Direction Hélette à une vingtaine de kilomètres, vite parcourus d’un pas alerte par cette petite troupe ; elle fera halte en cours de route à Macaye pour un pique-nique à l’ombre des chênes d’un pré limité par un ruisseau où s’abreuvent des vaches flegmatiques, indifférentes au passage de ces braves.
Accueil chaleureux à Hélette où les flonflons annoncent que la Kermesse Paroissiale bat son plein. Hélette, « lieu des troupeaux, » à l’ombre du Baïgura, sur l’antique voie romaine qui reliait Bayonne à Saint Jean Pied de Port, est traversé du Nord au Sud par le Chemin de Saint Jacques. Dès leur arrivée, les marcheurs se recueilleront un instant à l’église au pied de la statue de Saint Jacques représenté en pèlerin.
En signe de bienvenue, Madame le Maire, toujours attentive au bien-être des pèlerins qu’elle tient à venir saluer en personne, a fait confectionner de succulentes tartes aux pommes. Bertrand attribue les six lits du refuge aux plus de 65 ans (soit 13 lustres), les cadets et cadettes coucheront à la dure dans la salle commune. Le sympathique et chaleureux dîner sera présidé par le Maire de la commune et son époux, et accueillera Suzanne et Jacques Rouyre venus par gentillesse encourager notre petite escouade de volontaires.
Malgré un effort méritoire pour réactiver le souvenir des notions de trigonométrie inculquées au Lycée, et un stratagème astucieux de Bertrand, le jambon mis en jeu par la Paroisse échappera, et ce malgré une stratégie très méthodique, à notre perspicacité.

La longue étape du Lundi (27 kilomètres), toujours sous le soleil, sera heureusement émaillée de la visite des centres d’intérêt qui s’échelonnent au bord du chemin : A la sortie d’Hélette, la Fontaine des Sept Sources splendidement restaurée dans son cadre de verdure ; elle jaillit au pied de grottes qu’un ermite débarrassa des dragons qui terrorisaient la population de la région. Le bourg d’Irissary placé sous la protection d’une imposante commanderie bâtie à la fin du XIIème siècle par l’Ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem. Ses salles restaurées abritent une passionnante exposition de photographies de Didier Sorbé : « Mémoire de Monuments. » Guidés par nos sympathiques accompagnateurs bénévoles, les deux frères Arbelbide dont le nom signifie « chemin de l’ardoise, » nous évitons Jaxu et découvrons à l’entrée de Saint Jean Pied de Port l’émouvante petite Chapelle de la Madeleine avec son porche gothique ; on peut aussi contempler dès la sortie de la chapelle, depuis l’étroit pont de pierre, l’ancien passage à gué qu’empruntaient les pèlerins devant la façade du Prieuré.
Après avoir franchi la Porte Saint Jacques près de laquelle se dressait autrefois le gibet, et descendu la rue de la Citadelle, installation au Collège Mayorga où nous accueillent pour la nuit Denise et Delphine qui nous font servir un délicieux souper. Le bienheureux Jean de Mayorga, né en 1531 dans la plus ancienne maison de la ville en contrebas de l’Accueil, fut martyrisé en 1556, avant même d’avoir entrepris sa mission d’évangélisation des populations du Brésil.

Le lendemain, Mardi 12 Juillet, navette de voitures jusqu’à Mendive et montée, en compagnie d’un petit chien roux à poil ras, jusqu’à la Chapelle Saint Sauveur d’Iraty ; le groupe s’y rassemble sur la pelouse autour de la croix de fer pour le copieux pique-nique roboratif préparé et apporté par Delphine et Denise. Le plateau situé à 700 mètres offre une vue panoramique sur 360 degrés et le panorama est splendide ; le dénivelé estimé pour l’ensemble de l’étape est de 800 mètres. Hospitau sur la route de l’Espagne, bâtie par l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, cette chapelle située à l’entrée de la célèbre forêt de hêtres d’Iraty, remonterait au XIIIème siècle. Elle abrite « pour l’éternité » un chandelier dont la présence est liée à l’existence légendaire du Baxajaun, seigneur mythique de la forêt basque. Delphine et Bertrand narrent la légende de Xaindia, une jeune fille enlevée par le diable dans les airs et à qui Saint Sauveur épargna la honte, mais en sacrifiant la vie terrestre de cette petite servante : son corps reposerait à jamais dans un petit ermitage qui surplombe la chapelle.
Il nous faut repartir en début d’après midi pour grimper par un sentier escarpé jusqu’à 1100 mètres, effort que le panorama exceptionnel qui s’offre à notre vue sur les sommets environnants justifie pleinement. Une brève halte permet d’admirer les vautours et d’assister, admiratifs, à leur démonstration de voltige aérienne parfaitement silencieuse.
Après la visite édifiante du petit musée itinérant de la vie pastorale, une bien agréable promenade sur les rives de l’Iraty conduit au site du campement. Endroit idyllique miraculeusement préservé des atteintes de la civilisation ; sa pureté incite à retrouver l’innocence du Paradis Terrestre. Plongeon, bain et toilette dans cette eau limpide sous les frondaisons. Bertrand, MacGiver de l’expédition, a improvisé une cabine de douche parfaitement fonctionnelle sous un arbre en bordure du torrent où sautent les saumons. Au coucher du soleil, les vaches défileront, d’un pas lent et majestueux ponctué par le tintement des sonnailles, sur l’étroit sentier à mi-hauteur du versant opposé. Impassibles, imperturbables, elles contemplent un spectacle exceptionnel : la corvée de vaisselle par les hommes sous le regard des femmes soudain muettes, silencieuses, médusées, éberluées, frappées de stupeur, littéralement bouche-bée devant un travail d’équipe aussi efficace que parfaitement coordonné. Il y a décidément des moments dans la vie où il faut bien savoir passer l’éponge ...

Mercredi 13 Juillet : Après avoir levé le camp dès l’aurore, être remontés du niveau du Rio Irati à celui de la route et avoir parcouru d’un pas alerte une large piste empierrée qui traverse la forêt, ascension d’un étroit sentier très discret qui serpente entre les fougères (« irati » signifie « fougeraie » en basque) pour découvrir la Chapelle de Nuestra Senora de las Nieves ; elle domine « Las Casas del Rey, » pavillons de chasse du Roi lorsqu’il venait traquer l’ours.
Après une brève halte auprès du kiosque installé par le « Centro de Interpretacion de la Naturaleza, » il faudra de nouveau grimper par un sentier pentu à travers la forêt d’où nous observent timidement des biches ; au sommet, une agréable surprise nous attend : Jean de Menditte a tenu à venir nous accueillir avec deux de ses petits-enfants Thomas et Camille. Bertrand et Isabelle nous attendent également pour nous guider dans la descente jusqu’au lieu du pique-nique dans la Sierra de Abodi.
L’après-midi nous mènera jusqu’au Sanctuaire de Nuestra Senora de Muskilda dont le toit de bardeaux argentés rutile sous les rayons du soleil. Moment de recueillement, chants basques et gascons, et visite commentée par Bertrand dans cette église illuminée de la lumière éblouissante du soleil par son porche grand ouvert. Evocation du pèlerinage traditionnel du 8 Septembre et du « paloteo, » danse des bâtons exécutée sous la férule du « bobo, » personnage énigmatique dissimulé derrière un masque à deux visages.
Descente du Chemin de Croix jusqu’à l’Eglise de Saint Jean Evangeliste d’Ochagavia et installation dans les bungalows du camping après la traversée de la ville. En soirée, le Président se révèle être un véritable Chef et nous régale de « cogollos, » de côtes d’agneau grillées accompagnées de pommes de terre sous la cendre, puis de melon en dessert. Un régal ! Il manifeste une fois de plus son ingéniosité en improvisant à l’aide d’une branche fendue une pince pour attraper sans risquer de se brûler les pommes de terres sous la cendre !

Jeudi 14 Juillet : Sortie de Ochagavia par la Estacion de Patateras (la pomme de terre est localement une des productions principales) et montée pour sortir de la vallée du Salazar (de « saraizu » : saules) alimenté par la confluence de deux torrents ; montée jusqu’à 1310 mètres. Il faudra marcher longuement sur la piste en plein soleil et éviter de se laisser tenter par les chemins ombragés qui débouchent à droite et à gauche. Déprimante impression de lenteur malgré un rythme soutenu, sans pouvoir espérer jamais atteindre le lieu de rendez-vous avec la camionnette, en se répétant inlassablement avec « ma sœur Anne » : " Je ne vois rien que le Soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie." ... Une petite brise bien rafraîchissante évite de trop souffrir de la chaleur..
L’aire de pique-nique est enfin en vue, il faut encore escalader le talus pour atteindre un espace protégé des rayons du soleil ... et attendre en scrutant la route dans le lointain. « - Anne, ma sœur Anne ... » Un nuage de poussière annonce l’arrivée du véhicule tant espéré ... déception ! ce n’est pas le bon ... mais voilà cependant qu’en descend Bertrand pour nous annoncer que deux des pneus du « Coche de Apoyo » sont crevés. « Philippine ! » Il ne reste plus qu’à « faire contre mauvaise fortune bon cœur » et féliciter Bertrand d’avoir eu au moins la chance sur ces routes désertes de réussir à trouver un « bon samaritain » pour lui venir en aide.
C’était se réjouir de façon prématurée ! Le brave espagnol si secourable, en cherchant à faire demi-tour sur le chemin, rate sa manœuvre ; voilà son véhicule maintenant dans le fossé ! Ne cédons pas au découragement devant cette illustration concrète de la fameuse loi des séries ! « A cœur vaillant, rien d’impossible ! » En un clin d’œil, les hommes valides vident la petite fourgonnette de son chargement de bois et la sortent de cette mauvaise posture !
Tout est bien qui finit bien, le groupe repart le cœur au ventre (et l’estomac dans les talons) pour rejoindre la camionnette « restée en carafe » et pique-niquer. Bertrand finira par trouver un garagiste qui réparera tant bien que mal les pneus crevés, une fois sa sieste terminée bien entendu.
Finalement, la camionnette arrivera au lieu où doit être établi le camp, au bord du ruisseau de Vidangoz, en même temps que les marcheurs qui ont longé un torrent et, par chance car le soleil tape dur aujourd’hui encore, trouvé une source d’eau potable sur ses rives. Synchronisation involontaire, mais parfaite ! Tout semble définitivement rentré dans l’ordre ... lorsqu’on s’aperçoit qu’un certain nombre d’ustensiles de collectivité et des objets personnels des randonneurs ont été oubliés à Ochagavia. La navette repart obligeamment pour récupérer ces bricoles utiles sinon indispensables.

Moins mouvementée, l’étape du 15 Juillet nous mènera sans encombre de notre campement à l’extérieur de Vidangoz jusqu’à Castillo Nuevo. Elle nous offrira en cours de route des panoramas exceptionnels, une véritable carte en relief « grandeur nature » de la chaîne des Pyrénées. Un point de vue extraordinaire sur une très grande profondeur de champ que nous offre un ciel sans nuage ni brume. Quelle chance !
Après le pique-nique dans le lit d’un rio complètement à sec, regroupement au pied d’un « rampaillon » ombragé avant l’ascension du chemin confirmé par un pompier forestier jusqu’au Puerto de las Coronas ; ce réseau de voies baptisé « Canada Real » est peu fréquenté mais maintenu en état pour permettre comme par le passé la transhumance des troupeaux des hautes vallées de Roncal vers les Bardenas. Encore quelques recherches hésitantes pour ne pas perdre de vue le balisage du GR éparpillé au milieu des buis, et c’est maintenant la descente par un chemin scabreux de pierraille sur les champs cultivés de la vallée inondée de soleil ; Castillo nuevo : installation pour la dernière fois des tentes dans un champ de blé moissonné le jour même, et repas du soir autour d’un abreuvoir tout en longueur (ce qui nous permet providentiellement de disposer d’eau fraîche à volonté.) Dans ce lieu désert, habité par une maigre poignée d’agriculteurs, notre campement ne pouvait pas passer inaperçu, et on ne manquera pas de nous rendre visite par curiosité ou par courtoisie.
Hubert, chantre improvisé, a composé une « ode » pour saluer le succès de cette odyssée d’une semaine menée de main de maître par Jacqueline et Bertrand, chacun dans son domaine de responsabilité et de compétences ; il veille à diriger lui-même les choristes amateurs (mais pleins d’ardeur) qui doivent exécuter ce chant de louanges et d’action de grâces sur un air internationalement connu alors que le soir tombe. Mais les dernières lueurs du soleil couchant permettent encore de deviner le chemin qui demain nous mènera à l’assaut de la Sierra de Leyre, l’un des derniers contreforts des Pyrénées..

Epilogue : Samedi 16 Juillet. Notre destination finale est maintenant presque à portée de main ; bien sûr, cette considération rassurante nous donne maintenant des ailes. Encore quelques efforts pour arriver à l’emplacement du pique-nique : l’endroit domine et la célèbre abbaye de San Salvador de Leire et l’immensité de l’Embalse (lac artificiel) de Yesa dont les eaux bleues reflètent l’azur d’un ciel sans nuages. Dernière coquetterie gratuite pour bien montrer qu’il nous reste encore des réserves d’énergie : gravir le sentier pour atteindre la croix qui couronne la falaise toute proche et admirer le vol silencieux des vautours juste au-dessus de nos têtes. Une photo de notre petit groupe d’audacieux concrétisera ce dernier exploit qui nous a permis de profiter d’une vue plongeante sur l’ensemble imposant formé par les austères bâtiments ocre- orangé du monastère (alt. 750 mètres) construit au IX° siècle.

Avant de repartir, Bertrand nous relate le « moment d’éternité » vécu par San Virila, fasciné par le chant mélodieux d’un rossignol, pendant que dans le monde s’écoulaient trois siècles. La descente, notre « pente finale » en suivant les lacets d’un sentier sinueux et inégal, sera pourtant un jeu d’enfant. Nous débouchons bientôt devant l’Abbaye que nous aurons l’occasion de visiter sous la houlette d’une jeune guide espagnol. Dieu soit loué ! un petit dépliant touristique en français nous a été remis. Les commentaires de Bertrand viendront compléter cette information aussi bien sur les majestueux chapiteaux de la crypte qui semblent couronner de lourds piliers trapus, tronqués, que sur le symbolisme des sculptures et statues du portail de la façade.

Cette visite sera le point d’orgue de notre belle aventure vécue et partagée par tous les membres d’un groupe homogène malgré les départs anticipés des uns et l’arrivée tardive des autres. Comme il nous avait été recommandé, chacun avait eu à cœur d’apporter « indulgence, esprit de groupe et bonne humeur, » formule magique qui, ajoutée à la compétence de notre accompagnatrice et au savoir-faire de notre Président en charge de l’intendance, devait faire merveille. Merci à Jacqueline et Bertrand et à toutes celles et tous ceux qui ont contribué spontanément et dynamiquement au succès de cette aventure intrépide sinon téméraire ... de la corvée de pluches à la vaisselle, du montage des tentes au déchargement de la camionnette, etc ... et Merci également à l’avant-garde qui ouvre la route et à nos serre-files qui encouragent gentiment l’arrière-garde à ne pas se décourager. Rien de tel que la vie au grand air et en pleine nature pour faire redécouvrir les qualités humaines et les valeurs propres à l’éducation et à la civilisation. Moralité : Camping « sauvage » certes, mais heureusement fort bien « policé. » P ROUSSEL