LE CHEMIN DE SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE N’EST PAS POUR LES ANIMAUX !!!

Je m’appelle Rita Nathalie Vignau et je suis membre de l’Association des Amis de Saint Jacques du Québec, au Canada. Bien que j’habite le Canada, je suis néanmoins française. Ce que j’ai à dire s’applique aux gens de Franc, de Belgique, de Suisse, du Luxembourg et bien sûr d’Espagne, qu’ils soient pèlerins, touristes, étudiants ; qu’ils aient l’intention de faire le chemin de Saint Jacques de n’importe quel point de départ à n’importe quel point d’arrivée.

J’ai moi-même fait le chemin du 30 avril au 30 juin 2004 en partant de Roncevaux. Pendant deux mois j’ai marché tous les jours, et je viens raconter ce dont j’ai été le témoin, afin que vous en avertissiez vos membres et de peut-être les dissuader de faire le Chemin avec leur chien, à cheval, en utilisant âne, mule, mulet ou chevaux de bât (certains viennent avec chèvre et même chameau).

Le Chemin est très dur ; c’est un PÈLERINAGE que dans l’ancien temps certains faisaient en pénitance. Le terrain est tortueux, empierré, torride sous la chaleur d’Espagne, gelé ou boueux dans la neige ou la pluie. Jour après jour on marche 20, 30 kilomètres (parfois plus). Les gens souffrent d’ampoules, de tendinites, perdent du poids sous l’effort de chaque jour. Il faut grimper des pentes de plus de 20° pour éventuellement les descendre à un degré tout aussi dangereux (Zubiri, Hornillos de] Camino, El Aceibo, O Cebreiro, Portomarin, j’en passe et des meilleures !). Les espagnols les appellent les « mata mulas » (les tueurs de mules), car réellement, qui peut avoir le coeur de voir ces pauvres bêtes de bât : chevaux, ânes, mules chargées à l’extrême pendant que les « humains » , eux, marchent les bras ballant avec seulement un bâton de marche dont ils se servent pour appliquer quelques coups bien placés sur le dos de la bête, assoiffée, épuisée par les montées, apeurée par les descentes, histoire de la faire avancer plus vite sur ce chemin de Croix.

J’ai vu sous un soleil accablant, à 15 heures, essayant de grimper une côte qui n’en finissait pas de monter (et il y en a des centaines tout le long du Chemin), un pauvre âne surchargé, portant les bagages de deux personnes, alors qu’elles le suivaient portant un bâton (on sait bien que les ânes c’est têtu et que ça ne marche bien qu’à coups de bâtons - n’est-ce-pas ?).

J’ai aussi vu deux chevaux de bât qu’un couple de français avaient achetés à St. Jean-Pied-de-Port. Ces chevaux portaient un énorme barda chacun. Il y avait non seulement les affaires des gens (donc sacs-à-dos), mais aussi tente, réchaud à gaz, ustensiles de cuisine, lampes à pétrole, boîtes de conserve, bouteilles d’eau, alimentation diverse, etc..., sans oublier les harnais. J’ai rencontré Brigitte et Alfred et ai partagé un abri en ruines avec eux. Les chevaux, fourbus de fatigue après avoir marché 47 kms portant cet énorme fardeau sur un terrain boueux ; glissant, empierré, une pluie constante qui gelait jusqu’à l’os, des montées à casser le dos, des descentes à briser les pattes, ont passé la nuit froide et pluvieuse des Pyrénées sans abri, sans soins. Quand j’ai demandé aux deux français, au demeurant très gentils avec moi, ce qu’ils allaient faire des chevaux en arrivant à Compostelle, ils ont répondu : " les vendre au marché de la viande ". J’ai ajouté que les chevaux pouvaient être vendus pour la corrida (vous savez, on bande les yeux des chevaux pour qu’ils ne puissent pas voir le taureau et qu’ils ne se cabrent pas de peur - et le taureau, lui, rendu fou de douleur par les banderilles qui lui arrachent la chair essaye d’encorner tout ce qui bouge autour de lui, et ça inclus le pauvre cheval - c’est le passe-temps favori de bien des gens en Espagne et dans le sud de la France). Mes amis ont répondu tout confortablement : " ce n’est pas notre problème ! ".

J’en ai été profondément choquée, peinée, et déprimée. Le long du chemin je suivais les traces de ces pauvres chevaux dont les sabots s’enlisaient dans la boue et laissaient des traces de glissade sur les pentes abruptes et empierrées. Quel cauchemar pour eux et quel chagrin pour un pèlerin qui faisait ce pélerinage avec amour et compassion dans son coeur, de voir souffrir des creatures innocentes qui n’auront d’autre récompense que de se voir sacrifier à l’arrivée de ce chemin de croix. Cela fait un peu penser à un certain homme de Gallilée.

Il y a aussi la situation des chiens que les gens enmènent, pensant avec erreur que cela sera une bonne aventure à partager avec son fidèle ami. Si ils aiment vraiment leur fidèle ami, qu’ils le laissent en sécurité à la maison. Voici ce que j’ai vu : Les Espagnols n’acceptent pas les chiens dans les trains ou les autobus. Les chiens ne sont pas acceptés dans les REFUGES, les ALBERGUES, les HÔTELS. Quand après avoir marché 25 ou 30 kms le chien, fourbu, épuisé, ne peut que dormir dehors sous un porche, dans le froid et l’humidité, son corps n’arrive pas à se réchauffer dans ces conditions. Il tremble de tous ses membres et souffre. Karen, une " hospitalière " m’a dit avoir vu un pèlerin (?) avec un chien famélique, arriver à Monte de Gozo et se reposer, lui, tandis que son chien était affalé, tremblant de froid, n’arrivant pas à ce réchauffer. Karen au grand coeur est allée chercher son sac de couchage et en a recouvert le chien qui peut à peu s’est arrêté de trembler et s’est réchauffé. Après deux heures de repos, l’homme s’étant restauré (mais le chien épuisé n’avait " pas faim "), a repris la route sous la pluie avec la bête transie qui le suivait à la laisse. Karen en avait mal au coeur.

J’ai vu Marc de Belgique et son " copain ". Tout semblait bien aller avec ce couple d’amis, mais Marc refusait la viande qu’un pèlerin offrait au chien en disant que " ce n’était pas bon pour la bête de manger en-dehors des repas ! ". Après 20 kms de marche, le chien avait besoin de toute l’aide alimentaire qu’il pouvait recevoir, et c’est en cachette que le pèlerin partageait avec lui de gros morceaux de viande que le chien avalaient avidement. Marc aurait pu rester au refuge et se reposer - lui et son chien - mais il avait de bons amis à aller voir après Saint Jacques, à qui il avait promis de venir passer une semaine, aussi il était " pressé " de faire autant de route possible. Quand après une demie-heure il s’est préparé à repartir (2 heures de l’après-midi, en pleine chaleur) et qu’il a voulu atteler le chien (eh oui, le copain portait son propre barda), le chien est allé se cacher sous une table et n’a pas voulu en ressortir !

Puis à Manjarin j’ai rencontré ce jeune homme alsacien avec son beau chien aux yeux bleus. Le chien boitait d’une tendinite à l’épaule (eh oui, ça leur arrive aussi !). Le jeune homme, se prenant probablement pour un guérisseur, faisait des impositions de mains au chien qui était affalé sous un soleil torride en plein après-midi. Le chien respirait très rapidement, en hyperventilation. Quand un pèlerin suggéra qu’il serait peut-être bon que la bête soit mise à l’ombre, et qu’elle puisse se reposer un jour ou deux pour soigner sa tendinite, le jeune homme répondit : " il sait bien oublier sa tendinite quand c’est pour poursuivre les lapins " ; quand le même pèlerin remarqua que le chien portait un collier en métal clouté (genre " de dressage ") dont les crampons en fer étaient retournés à l’intérieur contre sa chair et blessaient sa gorge, le jeune homme répondit : " il faut bien le contrôler quand il veut s’en prendre aux moutons ! ". Même pas une heure après, le jeune homme, sans doute assuré que ses mains avaient le pouvoir de guérir son chien, s’en est allé, le chien suivant, boitant, et pendant une langue jusqu’à terre, sous une chaleur accablante.

Puis il y a ces chiens abandonnés dans les villages, ou en pleine campagne, à qui personne ne donne à manger ou à boire parcequ’ils n’appartiennent à personne. Ces chiens sont enmenés par des pélerins qui finissent par s’en débarrasser parce que la bête est blessée et que ça les retarde. Alors on laisse le chien derrière, pendant qu’elle est avachie quelque part. Les villageois, soit par pauvreté, soit par indifférence totale, laissent ces bêtes mourir de faim et surtout de soif - ça aide le procédé sans doute ! Ainsi à El Ganzo, ce vieux chien la peau sur les os, une blessure à la hanche où la chair était exposée, que les villageois chassaient. Ou alors, à Ribadiso de Baixo, ce joli petit chien qui s’était fait renverser par une voiture et qui avait une patte cassée et une grosse blessure
ouverte et qui saignait. Ce petit chien abandonné suivait les pélerins. Je l’ai revu à Arzua où je lui ai donné à boire et à manger. Enfin, je l’ai revu à Monte de Gozo, aux portes de Saint Jacques de Compostelle, là une âme charitable lui avait mis un pansement sur sa blessure ouverte. Il avait suivi un autre groupe de pélerins, cherchant son maître, mais Saint Jacques est une grande ville, grand trafic, grand danger, que lui sera-t-il advenu ?

Il y a aussi cet espagnol qui, alors que son berger allemand venait de s’être fait renverser par une auto et avait la patte cassée, a tout de même voulu le prendre avec lui sur le chemin de Compostelle ! Ils sont partis tous les deux, quelques jours après l’accident, le chien clopinant sur trois pattes, l’autre fraîchement cassée, sans pansement.

Pour terminer, il y a eu l’horreur. A Rabé de las Calzadas, j’ai vu un " pélerin " espagnol, " Angel ", avec un chien blanc épanieul qui aurait dû être beau, mais qui n’était pas nourri ni correctement (il mangeait du pain, des spaguettis, même des lentilles, mais pas de nourriture pour chien, viande, et surtout pas en quantité suffisante pour permettre à la bête de survivre aux efforts de tous les jours). Je l’ai vu mourir, chaque étape un peu plus. Des pélerins le voyaient, personne n’avait le courage de dire ou de faire quelque chose pour la bête. Moi j’ai acheté une boîte de nourriture pour chien et l’ai offerte au maître du chien. II l’a refusée en me disant que le chien " n’avait pas faim " " qu’il mangeait peu ", tout cela pendant que la bête était en manque et perdait son poil sur la tête où une grande tache rose montrait son scalp, sur le museau, et sur la queue. On voyait l’os de sa tête sailler, on pouvait compter ses côtes, les vertèbres de sa colonne vertébrale, les os des hanches sortaient. II est mort sur le chemin, son corps abandonné dans un fossé.

Quand nous marchons 20, 25, ou 30 kms par jour ; jour après jour ; après jour, nous perdons du poids, nous avons des ampoules, nous avons des tendinites. Les chiens font le tiers de notre corps ou poids donc ils maigrissent comme nous et ils ont besoin de manger - et bien, et de la viande - et il leur faut boire également que nous car la température de leur corps est plus élevée que la nôtre, et en plus ils ont des poils qu’ils ne peuvent retirer quand il fait trop chaud. Ils soufrent de la chaleur plus que nous surtout quand ils gravissent des côtes sous la chaleur du soleil. Nous avons des ampoules - ils ont des petit coussinés sous les pattes qui brûlent en marchant sur le macadam des routes, saignent sur les graviers et les pierres du chemin quand ils marchent sur 20, 25 ou 30 kms à suivre un maître égoiste. Nous avons des tendinites, eux aussi. Nous sommes épuisés le soir après la route, et nos muscles sont raides et pleins de douleurs le matin en nous levant, eux aussi. Ils n’ont pas le choix de nous suivre ou pas. C’est nous qui leur imposons de faire le Chemin avec nous, attachés, quand ce n’est pas avec un collier de dressage pour plus de peine. Pour leur amour pour nous ils souffrent de notre égoisme, notre inconscience.

A tous les pélerins qui eux ont un coeur, et de la compassion pour les êtres qui nous entourent et qui sont des créatures du Seigneur, sachez que le Chemin de Compostelle n’est pas pour les animaux.

Rita Nathalie Vignau