Accueil en gîte d’étape ou total abandon à la Providence ?

Les conditions dans lesquelles j’ai fait mon pèlerinage ne sont pas du tout un modèle. Sans regretter le moins du monde ce que j’ai réalisé, je déconseillerais à quiconque d’en faire autant. Si je refaisais ce pèlerinage, je le ferais différemment.
J’ai vraiment constaté combien cette aventure est quelque chose de personnel. Chacun fait son pèlerinage en le taillant à sa propre mesure.
Sur le Chemin, j’ai rencontré beaucoup d’étrangers. Des Allemands qui venaient de Munich, des Hollandais venus d’Amsterdam, des Anglais, des Américains, des Australiens, beaucoup de Brésiliens ; des gens de toutes provenance et de toute condition sociale, chacun ayant sa propre motivation et marchant à son rythme qui n’était pas celui du voisin.
Presque tous, et c’était aussi mon cas, choisissaient de s’arrêter dans les auberges appelées aussi " refuges " ou " gîtes " pour pèlerins. Pour moi, cela n’est pas du tout incompatible avec l’esprit d’un pèlerinage à Compostelle. D’autant plus qu’il y a un certain nombre de haltes (en quantité encore insuffisante, mais cela va certainement continuer de se développer) qui proposent un accueil vraiment fraternel, avec parfois une dimension spirituelle. Libre à chacun de s’y arrêter et de participer ou non à ce qui est proposé.
Parfois, comme à St Côme d’Olt ce sera tout simplement de partager le repas à la même table que les hôtes, avec la prière de bénédiction au début du repas et la possibilité d’avoir la messe avec la communauté, le lendemain.
A Conques, les frères Prémontrés se sont fait une véritable mission de l’accueil des pèlerins, avec participation à leur office du soir, et prière de bénédiction.
A Estaing, on peut être accueilli par une communauté du renouveau charismatique.
Il y a l’abbaye de Ronceveaux, l’accueil fait par le curé de la paroisse de Navarrenx. En Espagne il y a des gîtes où les hospitaliers aiment inviter les pèlerins à prier dans l’église comme à Azofra. Il y a des gîtes tenus par des communautés religieuses comme les moines de Silos à Rabanal del Camino...etc..
Malheureusement on trouve aussi des grands gîtes assez impersonnels. En France, beaucoup ont été créés par la municipalité et sont parfois gérés de façon trop administrative par les offices du tourisme.
En général je préférais frapper à la porte des gîtes qui offraient un nombre limité de places. L’accueil y était beaucoup plus fraternel et chaleureux. Les rencontres et les échanges entre pèlerins se faisaient plus facilement.
Mais il y a une autre façon, (plus authentique ? plus radicale.) de faire le pèlerinage. Je tiens à la mentionner car certains, même s’ils sont rarissimes, osent encore la pratiquer. Elle consiste à chercher, pour la nuit, un gîte chez l’habitant. Que ce soit dans une ferme, un presbytère, une communauté quelconque... Evoquer cette possibilité, comme je l’ai fait, auprès d’un groupe de pèlerins pris au hasard dans un gîte, soulève une tempête de protestations. " Mais vous n’y pensez pas, de nos jours c’est inconcevable, et en fin de compte c’est même à déconseiller complètement ".
Je pense que si, de fait, c’est difficile à réaliser, (il ne faut pas être pressé par le temps) cette démarche est tout à fait possible. Elle est beaucoup plus exigeante : elle place le pèlerin, (là, il n’est plus du tout question de randonneur) dans une situation de grande dépendance et d’insécurité ; elle implique donc un plus grand abandon à la Providence et en ce sens elle est automatiquement source de grâce. Je ne puis parler d’expérience mais je connais des gens qui l’ont fait, dont un qui vit ainsi depuis trois ans sans argent. Mandaté par un évêque, sa vie est un pèlerinage permanent. Partout où il passe, il tente humblement de témoigner de sa foi et parvient à toucher beaucoup de gens, tel un Benoît Labre des temps modernes. Il faut avoir lu " Le pèlerin de Jérusalem " pour comprendre l’intérêt d’une telle démarche.
Lors de mon pèlerinage à St Jacques, dans le gîte de Moissac, j’ai été frappé par le conseil donné par l’hospitalier qui faisait l’accueil. Comme tous les hospitaliers il avait déjà fait le pèlerinage en entier et savait de quoi il parlait. Il disait : " Moi, je suis un peu contre le fait d’aller dans un gîte à chaque étape. C’est trop facile, et aussi beaucoup trop commercial. Tout est prévu, on sait où on va dormir, il suffit de payer pour avoir un lit et parfois se faire servir un repas... Si tu veux faire le pèlerinage de façon plus intéressante, tu t’arrêtes n’importe où et tu demandes un coin pour dormir. Si on te refuse tu finis toujours par trouver quelqu’un qui peut t’accueillir. " J’ai été d’autant plus interpellé par sa façon de voir qu’il était lui même hospitalier, et assurait son service avec beaucoup de compétence et de dévouement. Mais je ne me sentais pas encore prêt à tenter cette aventure. En revanche, si c’était à refaire, je programmerais des étapes plus courtes, n’excédant guère 25 ou 30 km et je prendrais beaucoup plus mon temps.