Chemin qui nous enseigne la patience et l’humilité (ampoules et tendinite)

Faire 1600 km à pied n’est pas une chose qui s’improvise. Il est sage d’écouter les conseils de gens expérimentés et de ne pas trop présumer de ses forces. Les abandons pour cause de préparation insuffisante sont fréquents.
Les deux principaux ennuis du pèlerin qui peuvent l’entraver dans sa marche et parfois le conduire à l’abandon sont les ampoules et la tendinite.
Lorsqu’on fait des distances quotidiennes supérieures à 25 km, durant une longue période, il est difficile d’éviter les ampoules. J’en ai fait la cuisante expérience.
Ce furent d’abord les ongles de pieds qui ne résistèrent pas à la pression répétée au fond des chaussures, notamment après les longues et difficiles descentes. Cela n’est pas extrêmement douloureux mais cela impressionne quand même un petit peu. Et de toute façon, cela repousse.
Puis sont venues les ampoules qui, à deux reprises, m’ont obligé de m’arrêter une journée. A Conques et à Lauzerte. Haltes bénies qui, non sans un sacrifice de ma part, m’ont contraint à stopper un train d’enfer, pour prendre le temps.
Je ne pouvais plus marcher. Il me fallait alors faire confiance, accepter mon état, et même l’idée que, peut-être, je devrais abandonner. Dès lors, cloué au gîte pour une journée, j’eus tout le loisir d’accueillir d’autres pèlerins et de sympathiser avec eux. Et le surlendemain, comme par miracle, je pouvais repartir. Ce fut aussi une leçon pour moi, à qui un ami avait confié comme intention qu’il soit totalement abandonné à la volonté de Dieu. Ne fallait-il pas que je l’expérimente d’abord un peu moi-même ?
Ce ne fut qu’aux trois-quarts de mon pèlerinage, lorsqu’il ne restait plus que 400 km, que je sentis que mes pieds étaient suffisamment endurcis et que je n’aurais plus aucun risque d’ampoules.
On m’avait aussi prévenu des risques de tendinite, surtout si je forçais trop dès le départ. Incident qui peut, m’a-t-on dit, contraindre à l’abandon et même parfois laisser des séquelles durant quelques mois. N’ayant pas suivi les conseils qu’on m’avait donnés ce qui, parait-il, est un trait de mon caractère, il arriva ce qui devait arriver : une belle tendinite aux approches de Navarrenx.
Oserais-je avouer mon rythme de départ ? 1ère étape 40 km, 2ème 45 km, 3ème 58 km jusqu’à St Côme d’Olt où mes " exploits " ne firent pas du tout rire le couple qui assurait l’accueil des pèlerins.
J’eus droit à de fermes conseils de prudence, ainsi qu’à une description détaillée, pour ne pas dire apocalyptique, de tout ce qui pourrait advenir à un énergumène de mon espèce. En effet, au regard de leur situation, après environ 140 km du Puy et des pèlerins quelque peu imprudents, ils en voyaient un peu de toutes les couleurs jusqu’à, parfois, avoir à faire face à des urgences médicales : énormes ampoules mal soignées provoquant une enflure générale du pied, pèlerins qu’il fallait conduire à l’hôpital, parfois au milieu de la nuit ; manière sournoise dont pourrait se déclarer la fameuse tendinite avec tendance à la récidive... bref, tout ce qu’il fallait pour me refroidir.

De fait, en arrivant à Conques 2 jours plus tard j’eus la surprise de rencontrer deux personnes parties le même jour que moi : Une américaine et sa fille, laquelle avait été victime d’un claquage fatal du genou, dès les toutes premières étapes, alors qu’elles n’avaient commis aucune imprudence, si ce n’est le manque d’entraînement. Elles avaient donc rejoint Conques par la route. Leur pèlerinage était terminé et grande était leur désolation.
C’est aux environs de Navarrenx que se déclara ma tendinite, incident que je redoutais entre tous alors que je m’en croyais totalement à l’abri. Je me disais : " Si cela m’arrive, tout est fichu, et en même temps je pensais que cela aurait très peu de chance de m’arriver car j’avais, par précaution, pris des antiinflammatoires.
Hélas je n’en fus pas épargné. Elle se déclara durant l’étape qui devait me conduire à Navarrenx.
Depuis la veille déjà je commençais à sentir une légère douleur, exactement telle qu’on me l’avait décrite.
Mon ami Gilbert et moi, marchions en silence l’un derrière l’autre, à trois mètres de distance sur un tronçon qui empruntait la route goudronnée et avions une cadence assez soutenue.

Sentant la douleur monter, je dus ralentir le pas ce qui augmenta progressivement la distance entre nous. Cependant je n’éprouvai pas le besoin de l’en avertir et dus m’arrêter pour m’appliquer le voltarène que j’avais dans ma pharmacie. Bientôt je ne pus marcher qu ’en boîtant affreusement, toute progression à un rythme normal devenant impossible. Gilbert disparut à l’horizon, et je dus me résoudre à faire en stop les kilomètres qui me séparaient de Navarrenx.
Et voilà ! moi qui croyais que cela ne m’arriverait jamais. Qu’allait-il advenir de la suite de mon pèlerinage ? J’en avais parcouru à peine la moitié. Allais-je pouvoir continuer ? Encore une fois il me fallait accepter mes limites avec humilité. Je recevais une nouvelle leçon mais cette fois je craignais qu’elle ne fût fatale.
Et pourtant Dieu sait que j’avais été prévenu. A cause des distances que je parcourais j’eus droit, de la part de plusieurs pèlerins, à quelques sévères mises en gardes dont certaines furent lancées avec une pointe d’humour :
" Vous comprenez, Monsieur, l’organisme a ses limites. On ne peut impunément les dépasser, sans quoi cela risque de très mal se terminer "
Ou alors :
" Ah ! c’est vous le marathonien ? "
Ou encore, mais avec le sourire :
" Eh bien ! c’est merveilleux ! puisque selon la tradition du pèlerinage il y en a 10 % qui meurent en chemin, on est sûr que c’est plutôt vous qui en faites partie ! Cela nous donne des chances. "
Plus agressif :
" Mais vous savez, c’est qu’il y en a qui arriveraient EN RAMPANT ! "
Ou alors, sur le thème de la rédemption, (j’étais alors en Espagne) :
Ben dites donc ! Vous avez dû en faire, des gros péchés, pour marcher comme que ça. !
Bref, certaines de ces remarques me revenaient à la mémoire et je me désolais de mon état, me disant en moi-même : " Tu l’as quand même bien cherché "..
Cependant, alors que j’avais décidé de mettre toutes les chances de mon côté en prenant trois jours de repos, deux choses m’aidèrent à reprendre courage :
La première fut la réflexion laissée par un pèlerin, à Navarrenx, dans le fameux livre d’or qu’on trouve dans tous les gîtes d’accueil. Il avait été victime, comme moi, d’une tendinite à la même étape un an auparavant et il devait certainement être d’un tempérament particulièrement optimiste. Il écrivit ceci :
" Youpi !! J’ai une tendinite. Je peux rester un jour de plus et vous écrire une petite tartine. La tendignite, comme son nom l’indique est une inflammation du tendon et le tendon, eh bien ! c’est le don du temps.
Lorsque je refuse un présent pour me presser vers un avenir qui n’est pas, le feu vient ravir ce cadeau du temps. Le temps-don devient temps d’ignite et m’arrêter une nécessité pour reprendre le temps et éteindre ce feu qui, parti des fondations, menace d’embraser toute ma maison. L’eau m’est alors d’un grand secours. Je bois et, ce faisant, j’apprends à redevenir comme la rivière qui, quelque soit la vitesse accordée par le chemin qu’elle emprunte, porte en elle la promesse de l’océan.
Ultreïa ? Poil au doigt ! "

Le deuxième encouragement fut celui donné par le curé de Navarrenx. Un homme remarquable ! Très chaleureux et dont la qualité d’accueil dépasse largement les frontières du Béarn et même peut être de France et de Navarre. Tout le monde connaît cet endroit.
Lors de la petite réception à laquelle il convie chaque soir tous les pèlerins pour faire connaissance autour d’un apéritif, et apprenant que j’étais victime de cette mauvaise tendinite, il me prit le bras chaleureusement et me regardant droit dans les yeux, me dit avec son bel accent : " Ne vous inquiétez pas ! J’en ai accueilli quelques uns comme cela chez moi et cela s’est très bien passé. Prenez quelques jours de repos et ensuite vous pourrez repartir. Vous verrez, vous y arriverez ! "
Il avait une si grande assurance dans le ton et le regard que je reçus ses paroles quasiment comme une prophétie.
Je pris donc trois jours de repos, au pied des Pyrénées, chez mon beau-frère et ma belles sœur au cours desquels je vis même s’accomplir, comme un petit signe, cette fameuse " promesse de l’océan ". En effet, n’étant pas très loin de la mer, ils me proposèrent d’aller me baigner ! Ce que je fis de bonne grâce et c’est alors que me revint à l’esprit ce que j’avais lu deux jours auparavant dans le livre des pèlerins de Navarrenx.
Dès lors je continuai de reprendre confiance et vis que dans cette " promesse de l’océan " pourrait aussi se réaliser le rêve de la Cathédrale de Santiago.