La pratique de l’abandon

C’est pour moi l’une des découvertes de ce pèlerinage. Une pratique assidue de l’abandon à la Providence, vécue jour après jour dans des petits détails est le moteur le plus puissant de notre sanctification.
En effet, ce qui nous empêche le plus de progresser est notre attachement aux biens matériels, notre désir de réussite et d’efficacité, l’importance que nous accordons à nos propres idées, à nos sentiments et à notre vision des choses.
Nous voulons décider, garder la maîtrise de la situation et surtout laisser le moins de place possible à l’imprévu. C’est-à-dire là où, le plus souvent, Dieu agit et se révèle.
Dans le pèlerinage à St Jacques, suivant le degré d’abandon à la Providence auquel on s’est vontairement soumis, il y a une place plus ou moins grande pour s’exercer à la dépossession de soi. Or rien n’est plus à même de nous transformer profondément.
Ce pèlerinage est un exercice qui nous apprend à abandonner tout ce qui est de l’ordre de la volonté pour le faire passer du côté du cœur.
La seule énergie que nous mettons en actes est celle de la marche. Il s’agit de continuer chaque jour d’avancer, sans quoi il n’y a plus de pèlerinage. Et c’est le Chemin, ou Dieu si l’on préfère, qui fait le reste dans la mesure de notre capacité à " lâcher prise ".
Dès lors, tous les événements qui se présentent sont des petits tests que Dieu nous envoie pour notre progression.
Peu à peu nos préférences personnelles s’estompent au profit de la joie d’accueillir des richesses qui nous sont extérieures. En faisant ce Chemin c’est Dieu lui-même qui nous éduque en nous faisant pratiquer à chaque instant des exercices concrets et, si nous tenons le coup, nous sentons peu à peu grandir en nous la sérénité.
Nous nous sentons plus portés à nous ouvrir et à accueillir, qu’à analyser, à critiquer et finalement nous refermer en baignant dans un univers de rejet et de tensions.
Nous sommes conviés à entrer en dialogue avec des compagnons de route que nous n’avons pas choisis. A suivre, avec la confiance d’un enfant, un itinéraire que nous n’avons pas nous-mêmes fixé dans les détails. Nous sommes naturellement invités à nous émerveiller, à partir à la découverte de l’inconnu et à marcher sans avoir de programme qui nous enferme. Nous apprenons à nous ouvrir à tout ce qui est donné.
Bien sûr, dans notre vie de tous les jours, nous pouvons avoir à cœur de nous abandonner à Dieu, en offrant par exemple notre journée dans la prière du matin. Mais malheureusement nous sommes pris par nos activités et très vite nous oublions. C’est alors notre moi qui nous envahit. _ Lorsque nous en prenons conscience il est déjà trop tard et, chaque jour, tout est à recommencer.

Lorsque nous sommes en pèlerinage c’est beaucoup plus radical. Ayant décidé au départ de " couper tous les liens " afin de demeurer quotidiennement dans l’abandon à la Providence, il ne s’agit plus que d’une mise en actes de cet abandon. Et à force de l’exercer concrètement jour après jour, cela finit par entrer dans notre sensibilité. Dieu peut alors agir et venir nous transformer.

La grâce qui est donnée est à la mesure du degré de cet abandon. Plus notre humilité et notre confiance en Dieu sont grandes et plus Il aura de la place pour agir et pour se donner. Comme me le disait mon ami : " J’ai la certitude, et l’expérience, que si je donne tout à Dieu, jamais je ne serai abandonné ".
L’idéal, (que je n’ai pas eu l’audace d’expérimenter) serait donc de faire ce " grand plongeon " qui consiste à partir sans argent, en mendiant chaque jour sa nourriture et son lieu pour passer la nuit. Ayant reçu les confidences de plusieurs pèlerins qui l’ont fait, je sais que ce choix est possible et que cette radicalité de l’abandon est une grande source de grâce.

Mais c’est un Chemin difficile dans lequel, souvent, Dieu les a éprouvés jusqu’à leur laisser toucher le fond avant de se manifester. Combien de fois, lorsqu’ils auront su garder une grande paix et une grande confiance dans des situations presque limites, ils auront vu celles-ci se dénouer comme par miracle.
Des miracles qui sont des signes tellement forts de la présence toute proche de Dieu.