JURISPRUDENCE FORUM

Le jugement rendu dans l’affaire " Père-Noël " constitue la première position prise par les juridictions françaises sur le problème de la responsabilité des créateurs des sites proposant aux internautes un forum de discussions.
Le TGI de Lyon a, par son jugement du 28 mai 2002, procédé à la condamnation des responsables du site " Defense-consommateur.org " pour diffamation suite à la publication, par des internautes, de propos injurieux et diffamants à l’encontre d’un cybermarchand (Père-No‘l) sur le forum de discussions non modéré du site.
Cette condamnation consiste au paiement d’une somme de 80 000 euros (500 000 F) à titre de dommages et intérêts ainsi qu’à la publication de la décision dans la presse et sur le site abritant le forum.
Le juge a retenu la responsabilité civile et pénale des personnes en charge des sites pour l’ensemble des messages publiés sur tous les types de forums, modérés ou non modérés.
Il relève " qu’il est constant que les [responsables] ont pris l’initiative de créer un service de communication audiovisuelle en vue d’échanger des opinions sur des thèmes définis à l’avance et en l’espèce, relatifs aux difficultés rencontrées par certains consommateurs face à certaines sociétés de vente ; qu’ils ne peuvent donc pas opposer un défaut de surveillance des messages qui sont l’objet du présent litige ; qu’ils se considèrent eux-mêmes comme les concepteurs du site incriminé et doivent donc répondre des infractions qui pourraient avoir été commises sur le site qu’ils ont créé."

 

Cette solution, surprenante compte tenu de la difficulté d’exercer un contrôle a priori des contenus sur les forums non modérés, a été confirmée par le TGI de Toulouse dans une ordonnance en date du 5 juin 2002 suite à une affaire aux faits similaires.
En l’espèce, une association (DomExpo) fait l’objet de vives critiques sur un site spécialisé dans les maisons, et ce dans le cadre d’un forum de discussions non modéré.
Cette association obtient de l’hébergeur et du responsable du site la suppression de l’accès au site litigieux et celle des messages incriminés.
Le juge admet que les parties en cause ont rempli leurs obligations telles que découlant de l’article 43-8 de la loi du 1er août 2000 ; cependant, il considère insuffisantes les mesures prises pour faire cesser le trouble.
Le TGI rappelle que les internautes ont tenus des propos " comportant de manière évidente des invectives grossières, des imputations d’escroquerie, de pratiques douteuses qui excèdent les limites de la liberté d’expression pour entrer dans le domaine du dénigrement portant atteinte à l’honneur et ne respectant pas la dignité de celui auquel ils s’adressent ".

 

La juridiction considère le créateur d’un site comme " responsable du contenu du site qu’il a créé et des informations qui circulent sur le réseau " dans la mesure où il dispose seul du pouvoir réel de contrôler les informations ou diffusions.
Il peut donc voir sa responsabilité civile engagée étant donné qu’il a " l’obligation de respecter les règles légales ou les restrictions ou interdictions qu’imposent le droit et ne peut se retrancher derrière la nature de l’Internet pour mettre devant le fait accompli les personnes aux quelles la divulgation de propos illicites porte préjudice ".
Mais, par cette ordonnance, la juridiction entend également imposer à l’hébergeur technique du forum une " obligation générale de prudence et de diligence ", celui-ci devant mettre en oeuvre " des moyens raisonnables d’information, de vigilance et d’action ". En cas de violation de ces obligations, l’hébergeur sera donc uniquement civilement responsable.

 

Difficultés résultant des jurisprudences " Père-Noël " et " DomExpo

 

Le créateur du site qui propose un forum de discussion est soumis à une obligation de surveillance sur la totalité des contenus diffusés en raison de la maîtrise qu’il possède sur la diffusion des propos. Cette solution semble tout à fait logique dès lors que l’on se trouvera dans l’hypothèse où la diffamation se sera produite sur un forum modéré, l’administrateur du site devant donner son approbation préalablement à la publication des messages.
Or, dans les affaires récemment examinées par les juridictions françaises, la diffamation avait eu lieu sur des forums non modérés.
La responsabilité retenue par ces jugements serait donc fondée sur les articles 1383 et 1384 du Code civil, le premier posant le principe de la responsabilité du dommage causé par la négligence ou l’imprudence, le second retenant une responsabilité du fait des choses dont a la garde.
Les créateurs d’un forum seraient alors responsables pour l’imprudence d’avoir mis à la disposition des internautes un forum non modéré, mais aussi en raison de la maîtrise qu’ils sont censés exercer sur leur site.

 

En ce qui concerne les hébergeurs, on peut se demander ce que leur nouvelle obligation implique concrètement étant donné que dans l’affaire " DomExpo " l’hébergeur avait empêché l’accès au site litigieux dès son assignation, pour ne le rétablir qu’après la suppression des contenus diffamants. Il serait donc contraint d’installer des moyens de surveillance afin de prévenir toute mise en cause devant le juge civil ; mais ces moyens apparaissent difficiles à mettre en oeuvre.

 

Conséquences des nouvelles positions jurisprudentielles

 

Le 28 juin 2002, le Tribunal d’Instance de Nantes a entériné un accord conclu le 27 juin 2002 entre le webmaster d’un forum et le président de la CPAM(Caisse Primaire d’Assurance Maladie) et par lequel les deux parties règlent leur différent ; le litige qui les opposait était en fait la conséquence de propos injurieux et diffamatoires tenus à l’encontre du second sur ce forum non modéré, mis en place pendant les dernières élections, et qui visait à permettre aux médecins d’exprimer leur mécontentement suite aux amendes infligées par le président de l’organisme à certains de leurs confrères qui avaient pris la décision de facturer leurs consultations au prix de 20 euros au lieu du tarif légal en vigueur inférieur (18,75 euros).

 

Le webmaster du forum y reconnaît d’ailleurs avoir " failli à son obligation de modération en sa qualité de webmaster ". Condamné à verser un euro symbolique, il a également consenti à régler les frais résultant de la procédure.
Quant à l’hébergeur du site (Nfrance) et au prestataire du système de forums (l’hébergeur.net-Twidi), ils ont été écartés de la procédure. En effet, ils avaient rempli leurs obligations légales en procédant à la fermeture du forum et à la publication de l’assignation.

 

Suite à cette affaire, le responsable du site a décidé de fermer son site, regrettant que " le problème de fond posé par les textes de lois qui engagent la responsabilité des webmasters concernant les écrits des forums reste entier ".

 

En Allemagne, La Cour d’appel de Koblenz en Allemagne a, le 16 mai 2002, jugé responsable, des créateurs d’un site à la suite de la publication de messages dit diffamatoire dans un livre d’or.

 

En conséquence, refuser d’appliquer aux créateurs de forums la protection de la loi du 1er août 2000, induit la suppression progressive et inéluctable de tous les forums non modérés.