Le Chemin des étoiles

24 août 2005, par Martine, la pèlerine

Voici un texte que m’a inspiré le chemin, juste pour transmettre aux futurs pèlerins, un peu du grand bonheur qu’il m’a donné...

Campo stellae : " le chemin des étoiles"

Je me souviens, dit le noisetier sauvage au fond du jardin, c’est dans ma ramure fournie qu’elle a choisi son « bourdon ». C’est dans mon bois encore vert qu’elle a choisit sans hâte, puis taillé, une branche solide, au calibre parfait. Elle l’a coupée à la hauteur de son épaule, l’a éprouvée de tout son poids et, satisfaite du résultat, y a tracé une large veine sur toute sa longueur, en a évidé l’écorce, y gravant comme une guirlande jusqu’au poignet. Pendant quelques semaines, elle a laissé sécher le bois, puis, une fois sec l’a surmonté d’une boule de buis, symbole de pureté et y a enchassé une coquille d’argent.

Je me souviens dit le vent, le jour de son départ de Chalosse, j’ai caressé son visage à la manière d’un au revoir et j’ai bien vu ses yeux briller.

Je me souviens dit la pluie, de Montfort à Habas, je l’ai accompagnée tout au long du premier jour. Je me suis faite discrète mais insistante, pénétrant ses vêtements, parsemant son chemin de grosses flaques et ruisselant sur son chapeau de cuir, une façon directe d’éprouver sa résistance.

Je me souviens dit le pont sur le gave, elle n’en était qu’au début de son voyage, elle m’a franchit d’un pas alerte, en chantant à tue-tête. Elle a suivi le chemin champêtre qui sillonne à travers prés et forêts, jusqu’aux Pyrénées enneigées.

Je me souviens dit la Vierge d’Orisson, ce jour-là le froid mordait, la neige, tombée des derniers jours, rendait le chemin glissant et le brouillard, en nappes épaisses, s’échinait à masquer la route, occultant dangereusement les flancs abrupts du Col de Lepoeder. Elle a posé son sac à mes pieds, s’est avancée sur le surplomb et écartant les bras comme pour embrasser, en contrebas, la vallée toute entière, elle a fait jaillir du plus profond de sa poitrine un grand cri dont je ne saurais dire aujourd’hui s’il était de peur, de rage ou de jubilation.

Je m’en souviens dit l’écho, je l’ai fait ricocher de pics en aiguilles, jusqu’aux confins hispaniques de la Collégiale à Roncevaux.

Je me souviens dit le pottock, c’était à l’aube. elle allait franchir le gué à la sortie de Viscaret, sur la route de Larrasoana, lorsqu’elle a vu la horde. Elle s’est avancée vers nous, doucement, simplement. Elle s’est assise dans l’herbe encore humide de rosée et nous a parlé avec ses yeux, longuement. Je me suis avancé vers elle, jusqu’à sa main tendue, pour y sentir les odeurs qui voyageaient avec elle.

Je me souviens dit l’éolienne, j’ai suivi son cheminement dans les lacets de la Sierra del Pardon, accompagnant sa montée laborieuse, la rythmant de « flap-flap » encourageants. Lorsqu’elle est parvenue au sommet, son poul battait tout aussi fort que vrombissaient mes pales, nos coeurs ont vibré à l’unisson.

Je me souviens qu’entre Maneru et Cirauqui, elle a foulé mes vénérables pierres avec beaucoup de respect rencherrit la voie romaine, elles ont porté au cours des siècles, le fardeau de tant et tant de pèlerins admirables, marcheurs d’absolu ou nomades de l’âme.

Je me souviens dit l’hirondelle nichant sous les voûtes du Monastère de San Juan de Ortega, elle est arrivée, courant sous la grêle et glissant dans la boue, le ciel était sombre comme devaient l’être les loups qui hantaient autrefois los Montes de Oca . Elle s’est réfugiée dans l’église glaciale attendant la fin de l’averse. J’ai comblé son attente par un concert de trilles dont je suis virtuose. En mélomane reconnaissante elle m’a saluée, près de la fontaine, le lendemain matin.

C’est entre Carrion de los Condes et Sahagun qu’elle m’a rencontrée dit le silence de la Meseta, je me souviens que sous un soleil de plomb elle comptait ses pas, ses réserves d’eau dataient déjà de quelques heures. Cette route n’en finissait pas... Après quelques moments de désespérance,méthodiquement, elle refaisait ses comptes : si chaque pas fait tant, 1000 pas font tant... je compte jusqu’à 6000, et... c’est sans doute là qu’elle a compris qu’en matière de comptes, le chemin additionne fragilité, solitude et vulnérabilité.

Je me souviens, dit le chien solitaire de Foncebadon, je ne suis que le gardien misérable d’un village abandonné où persistent à survivre quelques poules stupides et trois vaches mises au pré. Lorsqu’elle a pénétré sur mon territoire, elle n’a pas semblé plus effrayée que ça par mes aboiements furieux. Mais mes protestations véhémentes n’étaient peut-être que de dépit, eu égard à son bâton dont elle martelait la chaussée.

Je me souviens qu’elle m’a ramassé devant sa porte et gardé tout au fond de sa poche, dit le caillou, jusqu’à ce qu’elle me dépose, comme le veut la tradition, au pied de la Cruz de Ferro, où j’ai rejoint d’autres cailloux, déposés eux aussi, comme symboles des attachements superflus, des fautes passées ou des biens matériels inutiles.

Moi, dit l’imposant châtaignier de Riego de Ambros, elle s’est assise à l’ombre de mes branches pour quelques minutes de repos. Elle a semblé impressionnée par ma stature, a tenté de m’enlacer pour mesurer ma taille mais a du s’y reprendre à six fois pour faire le tour de mon énorme tronc. Cela m’a valu un regard admiratif dont je me souviens encore !

Et moi dit la brebis je m’étais égarée, j’avais perdu et le berger et le troupeau. Elle est apparue soudain devant moi au détours du chemin et m’a d’abord effrayée. Le son de sa voix m’a apaisée,. Je me souviens que sans me brusquer, prenant un peu à droite, puis bifurquant à gauche, elle m’a finalement ramenée vers mes soeurs. J’ai été encore plus surprise quand je l’ai entendu chanter la « jota » avec Pascual, le Berger, l’un lançant un refrain, l’autre répondant de plus belle, ils semblaient ne plus vouloir se quitter.. Finalement, elle est repartie vers Triacastela mais ils ont continué leur joute musicale aussi longtemps que le vent a bien voulu porter leurs voix et les faire se répondre. « Hay que vuelta caminar ... por aquel camino verde »...

Je me souviens, dit le Botafumeiro, lorsqu’elle a débouché sur la place, face à Santiago de Compostelle, elle a appuyé son front sur les colonnes de pierres roses, pour ne pas montrer qu’elle pleurait.

Elle a poursuivi son chemin, jusqu’au bout de la terre, Finisterra, Fisterra : là où la terre finit et où le pauvre humain découvre enfin, qu’il n’est fait que pour passer.

Martine

Pèlerine et Citoyenne du Monde
martine.reau-gensollen@wanadoo.fr