Le Chemin de Compostelle : Le Chemin Intérieur 24 août 2004, par Roberto Coco

St Jacques de Compostelle : il est vrai que le nom de cette ville porte, depuis des siècles, un passé fascinant ... Route du rachat et de la pénitence pour certains, route de la recherche pour d’autres, elle fût depuis le Moyen Age arpentée par tous les croyants d’Europe et du Monde. Je dis bien croyants car rares étaient ceux qui, à l’époque, auraient effectué ce voyage sans une foi sincère et profonde.

Aujourd’hui les temps changent, le spirituel se trouve de plus en plus marginalisé. Et pourtant certaines choses sont intemporelles. La foi, par exemple. Le mystique aussi. Ou le chemin intérieur que l’on peut faire soi-même.

Depuis quelques temps je me passionnais pour les récits des pèlerins de Compostelle : d’un point de vue historique d’abord, Goethe ne disait-il pas que le Chemin de Compostelle avait créés l’Europe ? Mais aussi par pure curiosité, presque fascination pour ces pèlerins d’horizons multiples, de langue, de vie, de passé différents, poussés par le même besoin ou le même rêve... Il me fallait comprendre. Lectures diverses, cartes géographiques, discussions avec plusieurs personnes. Non, ça ne suffisait pas, il m’en fallait d’avantage.

ET un jour, début avril 2004, la décision est prise : je ferai moi-même une partie de la route, à pied, en empruntant le Chemin Anglais. Ce chemin était le moins détaillé de tous, parce qu’il était tout simplement peu utilisé. En effet, se trouvant à l’extrême Nord-Est de L’Espagne, sur l’Océan Atlantique, il était utilisé par les pèlerins anglais qui arrivaient par bateau. Aujourd’hui, la majorité des pèlerins venant via la France, le Sud de l’Espagne ou le Portugal, peu de personnes utilisent encore le chemin anglais ... Inexplicablement, mon choix se porta immédiatement sur ce chemin. Etait-ce le goût du mystérieux ? L’envie de la découverte ? De l’aventure ? Je ne le sais pas, mais tout ce que je sais c’est que deux jours plus tard, je me retrouvais avec billet d’avion pour Bruxelles - Madrid - La Coruna...

Totalement inconscient du voyage, de sa difficulté et de son sens, me voilà parti avec 12kg dans mon sac à dos, un billet d’avion et ma Credentiale, pour un vol Bruxelles-Mardid-La Coruna, suivit d’un voyage en bus de La Coruna à Ferrol, car je décidais de faire 110 km à pied en partant de Neda, petite ville au Sud de Ferrol. Le choix des 110 km n’est aps le fruit du hasard, mais la résultante de deux composantes : en premier la limite de temps ne me permettant pas de partir plus de 4 ou 5 jour ; en second, la nécessité de parcourir au minimum les 100 derniers km à pied, condition sine qua non pour recevoir la reconnaissance et le diplôme de pèlerin délivré à St Jacques de Compostelle.

Vendredi 9 avril, me voilà à Neda... Pas de plan, pas de carte, pas de compas. Rien ! Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais, depuis mon départ, que je devais y aller comme ça, en faisant confiance à mon destin. Inconscience me direz-vous, à raison probablement... Mais parfois, la raison s’égare quand on ressens en soit des convictions très fortes, ce qui était mon cas. Mon sac à dos sur les épaules, ma coquille St jacques autour du cou, je me sens complètement perdu, car je ne sais pas où aller ! Regard à gauche, regard à droite, rien. Un vieux monsieur s’approche de moi, et me demande en espagnol s’il peut m’aider : je lui explique que je désire suivre le chemin anglais jusqu’à St Jacques de Compostelle, mais ne sais pas où aller ni par où commencer ! Il ne paraît pas du tout surpris, et m’explique tout simplement que l’œil averti remarquera, dans les villes, les flèches jaunes sur le sol, sur les murs, sur les poteaux électriques, qui sont les flèches indiquant la route à suivre ... Il m’explique également que tous les km, je trouverai une petite stèle en pierre, de +- 1 mètre de haut, avec un carrelage dessus représentant une coquille St jacques : le sens de la coquille me montrera la direction à prendre, les km indiqués au dessus m’indiqueront la distance qui me restera à parcourir jusqu’à st Jacques de Compostelle. Ensuite il lève le bras en souriant, et m’indique, à une vingtaine de mètres, une flèche jaune peinte sur un poteau électrique... Nous nous saluons, il me souhaite bonne route, me voilà parti ....

Après quelques kilomètres me voilà en pleine nature, passant le long de petites rivières, gravissant des collines, traversant des bois. Il fait beau, le soleil brille, la température fraîche de ce mois d’avril est idéale. Je souris, content, heureux de ma marche, sans savoir où je m’arrêterai. Dans la tranquillité de cette nature, complètement seul, j’admire le paysage et ses multiples couleurs, j’écoute le bruit du vent, des oiseaux, le silence des champs, l’aboiement d’un chien au loin, le bruissement des feuilles sur les arbres. Je m’émerveille de petites choses, une fleur posée sur une stèle, un vieux crucifix de pierre marqué par les siècles de pluie et de soleil, le sentier large d’un mètre mais qui à certains endroits se rétrécit pour ne plus faire qu’une dizaines de centimètres de large. Je croise une route, passe sous un pont, me retrouve dans une forêt. A chaque tournant, je ne sais pas ce que je vais trouver. Vais-je monter une colline ? Descendre dans une vallée ? traverser un village ou des champs ? La nature sauvage de cette région est imprévisible, indomptée, malicieuse, cahotique parfois, mais toujours merveilleuse...

Mon arrêt le soir n’a que peu d’intérêt, il ne représente qu’une parenthèse dans ma marche, je ne parlerai donc pas de mes différentes nuits lors de ma marche car chaque soir je n’attendai en fait qu’une chose, le lendemain matin pour pouvoir repartir sur la route et retrouver cette communion avec la nature.

Chaque jour je me nourrit de cette tranquillité, de ce calme, de cette douceur du climat, je me sens bien, le temps s’est arrêté pour moi quand je marche, les heures passent sans que je m’en rende compte. Mon esprit s’évade, je revois en ma famille, je repense à mes amis d’enfance, à mes études, à des personnes perdues de vue depuis si longtemps, aux événements de ma vie. J’y repense mais je sens en moi que j’aborde ces images de façon différente. C’est difficilement explicable, mais le fait d’être à des milliers de km de chez moi, seul, au milieu de la nature, entrain de marcher pendant des heures me met dans un état d’esprit que je n’avais ressenti auparavant. Je revois mes doutes, mes joies, mes peines, mes amours, mes haines, mais la manière dont tout se présente dans ma tête est une découverte. Je suis libéré de toutes chaînes sociales, de règles, de convenances, de toutes ces petites choses futiles mais qui nous semblent si importante dans la vie de tout les jours. J’avais oublié ce que voulait dire écouter le bruit du ruisseau, j’avais oublier ce que voulait dire regarder les branches des arbres bouger au vent, j’avais oublié ce qu’était le parfum de la rosée le matin, l’odeur de la campagne qui se réveille, l’odeur des feuilles dans la forêt... Je retrouve toutes ces émotions perdues, toutes simples, que l’on ne peut reconnaître qu’en étant en parfaite communion avec la nature.

Avec la vie que je menais avant ce voyage j’avais oublié ce que voulait dire ouvrir son cœur, j’avais oublié ce que voulait dire se parler à soi-même, j’avais oublié la véritable nature de mes sentiments, j’avais oublié ce que voulait dire ressentir de vraies émotions ...

C’est sur cette route que j’ai découvert ou plutôt redécouvert le sens de ma vie.

J’ai compris que le chemin que je parcourais était un chemin intérieur.

Je crois aujourd’hui que le chemin de de Compostelle est un chemin que l’on fait à l’intérieur de soi non pas pour trouver des questions à nos réponses, mais pour retrouver l’être humain qui est en nous.

Roberto Coco Bruxelles