Comment a muri ce projet et dans quel esprit je l’ai réalisé

Parti du Puy le lundi 4 juin 2001 j’ai fait, à pied, le Chemin de Compostelle, jusqu’à St Jacques, où je suis arrivé le 13 juillet après 40 jours de marche et un parcours de 1600 km. Pourquoi me suis-je lancé dans ce " pèlerinage " ? ou ce " Chemin " vers St Jacques de Compostelle que les espagnols appellent le " Camino " (Notez bien le "C" majuscule, car il est important.
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Notre fille Véronique et son mari ayant goûté à cette joie, dans un tronçon qui relie Le Puy à Conques j’ai été dès le départ interpellé par leur expérience. Puis j’ai rencontré des amis qui avaient fait tout ou partie du Chemin et qui ont continué de m’insuffler leur passion tout en me prodiguant tous les conseils nécessaires à la réussite.
Pour ce qui est du sens que je voulais donner à ce projet mon désir profond était le suivant :
Tout d’abord remercier Dieu pour le mariage de Véronique et Baudoin. Ils se sont mariés un 25 juillet, fête de St Jacques.
Deuxièmement, vivre une expérience forte, dans laquelle je pourrais me dépasser, m’ouvrir à quelque chose de nouveau et dont je reviendrais peut-être un petit peu changé. Du moins je l’espérais.
Pour chacun, le Camino est une expérience différente et très personnelle. Il n’y en n’a pas une qui se ressemble exactement. Pour moi, le Camino aura été une expérience " violente ". Tout au moins physiquement. Il n’y a pas de vrai pèlerin qui fasse tout le Camino sans souffrir un peu, même si ce n’est pas là le but recherché, et comme me disait, en espagnol une " hospitalière " à Sahagun : " El Camino no es fàcil "
Dans la plupart des guides on dit que la distance du Puy à St Jacques peut être raisonnablement couverte en l’espace de deux mois et même un petit peu moins pour les bons marcheurs. Pour ma part je l’aurai couverte en 40 jours.
Mais n’étant pas encore à la retraite, je n’avais pas tout à fait le choix.
Donner un profil du pèlerin " type " est chose très difficile car il y a autant de motivations que d’individus, or les miennes n’étaient pas spécifiquement sportives et si j’avais eu le choix j’aurais cent fois préféré faire des étapes plus courtes. Mais je désirais à la fois le faire en entier et je disposais, pour cela d’un temps limité. J’avais calculé qu’il me fallait au minimum couvrir des distances moyennes de 30 et si possible 35 km dès le départ, alors que j’étais absolument incapable de savoir à l’avance si cela me serait possible tous les jours durant une longue période. La moyenne aura été de 40 km ce qui m’aura permis deprendre une semaine de repos avant la reprise du travail.
Arrivant au terme de mon pèlerinage, alors qu’il me restait deux bonnes étapes entre Palas de Rei et Santiago, je me suis payé une petite " fantaisie ", celle de n’en faire qu’une seule (elle fut de 62 km) réalisant que moyennant un " petit effort " j’aurais la suprême satisfaction de boucler mon périple en l’espace de 40 jours, un chiffre pour moi hautement symbolique. (Je décrirai plus loin les détails de mon arrivée à Santiago.)
Les 40 années d’exode et de pérégrination des Juifs conduits par Moïse, les 40 jours de Jésus dans le désert. 40 x 40 = 1600. A un jour près, c’était trop bête de ne pas le faire !
Une fois retourné chez moi, j’ai lu dans le guide que cette dernière étape était très exactement celle que réalisaient les tout premiers pèlerins.
Par ailleurs, mon souci était bien de faire un pèlerinage et non pas du tourisme ni même de la randonnée, ce que par ailleurs je respecte parfaitement et que j’aurais, en d’autres circonstances, pris plaisir à faire moi-même. Mais c’est la Providence qui m’a conduit vers ce choix.
Et j’ai constaté par mes lectures que, ce faisant, je me rapprochais un peu - bien que de très loin - de l’expérience des pèlerins d’autrefois qui couvraient des distances moyennes bien supérieures à 40 km dans un contexte autrement plus difficile. Il est vrai qu’ils avaient l’habitude de marcher, mais ces gens-là risquaient leur vie et il y en avait 10 % qui mouraient en chemin ou qu’on ne revoyait jamais.
Enfin, je n’ai pas voulu faire de cette aventure une expérience exclusivement personnelle. Sans que je l’aie demandé je me suis senti très porté par ma Communauté (L’Arche de Jean Vanier) et tout mon entourage. Tout d’abord par ce signe visible qu’est la " Créanciale ", sorte de laisser-passer indispensable que l’on doit présenter dans tous les lieux d’accueil pour pèlerins et dans lequel il est écrit que celui-ci est " envoyé " par son évêque. Ensuite par cette messe de départ, à Trosly, à l’issue de laquelle m’a été accordée cette toute première bénédiction dans le cadre du rite prévu à cet effet. Et enfin par toutes ces personnes qui ont prié pour moi et dont certaines m’ont confié des intentions à porter jusqu’au tombeau de l’apôtre St Jacques. Intentions que je m’engageais à porter dans ma prière quotidienne accompagnée des petites souffrances que cette aventure allait nécessairement occasionner.
Je voulais donc ainsi, bien que faisant une expérience solitaire, rester en étroite communion et associer à ma démarche ma famille, mes amis et ma Communauté.

Pour ce qui est de ma famille, j’ai eu la joie d’être accompagné à mon départ du Puy par mon épouse, une de ses sœurs, une nièce, et mon dernier fils de 23 ans ce qui a eu pour effet, lors de la présentation de chaque pèlerin, après la messe d’envoi et la bénédiction de Mgr Brincard de susciter de sa part la remarque suivante : " Vous savez, autrefois les pèlerins faisaient toujours leur testament avant de partir " Ce qui n’a pas traumatisé mon épouse.
Je sentais donc qu’une grande aventure allait commencer et c’est avec une profonde émotion que j’ai commencé à descendre les marches de la cathédrale et à suivre le fléchage de ce long itinéraire, accompagné par les miens jusqu’aux portes de la ville, et même un peu au delà, mon fils ayant désiré porter mon sac, avant que l’on se dise adieu ; répétant ainsi, sans le savoir, la tradition des premiers pèlerins. Ce qui m’a beaucoup touché.