Chemin qui nous met en relation les uns avec les autres.

A mon retour, certaines personnes m’ont dit : " Vous avez dû faire des rencontres extraordinaires. " Je dirais : Oui et non. Bien souvent les conversations étaient très banales. Ce qui est surtout frappant c’est la facilité avec laquelle on entre en relation.
J’aimerais citer ici une réflexion relevée dans l’ouvrage de Jean Lescuyer, "Le Pèlerin de Jérusalem " :
" Un des aspects les plus fascinants du pèlerinage réside dans son ouverture. Si on se laisse porter par les voies de la Providence, chaque journée renferme une infinité de surprises. "
C’est absolument vrai et je pense que tous les pèlerins l’expérimentent plus ou moins.
Bien que je ne me sois pas autant que lui abandonné à la Providence, et que j’aie choisi de faire le "Camino" en solitaire, j’eus bien souvent l’occasion de rencontrer d’autres personnes, que ce soit pour de brèves discussions, des petits signes de sympathie qui faisaient chaud au coeur, ou pour des partages plus approfondis.

Certes le pèlerin de Compostelle, de par son acoutrement spécifique, (muni de son " bourdon " et parfois d’une coquille qui pend quelque part), ne peut passer inaperçu. Il attire vite l’attention et les langues se délient plus facilement.
Un jour que je prenais un peu de repos, étant assis à un carrefour où le GR croisait une petite route de campagne, je vis un car scolaire débarquer un groupe de 5 ou 6 jeunes enfants munis de leurs cartables. Apparemment peu pressés de retourner chez eux et intrigués par ma présence en cet endroit ils s’avancèrent dans ma direction et me demandèrent d’où je venais. Une conversation s’engagea entre nous quant à ma provenance et ma destination au delà des Pyrénées que l’on voyait à l’horizon.
Lorsque le Chemin empruntait des tronçons de route goudronnée, bien fréquemment les automobilistes se plaisaient à manifester leurs encouragements par de sympathiques coups de klaxons. En Espagne, alors que j’étais précédé par un groupe de jeunes légèrement excités qui faisaient des grands gestes aux camions arrivant en sens inverse, j’eus droit, durant plusieurs kilomètres à un véritable concert d’avertisseurs puissants.
Bien souvent les pèlerins se saluaient entre eux par un chaleureux : " Buen Camino ! " et les gens que je croisais dans les villages faisaient de même.
Je me souviens d’une conversation engagée au bord du Chemin, dans le Béarn, avec un homme plein d’enthousiame, qui était venu voir son champ et se plaisait visiblement à parler avec les pèlerins de passage. Il s’avança vers moi et me dit : Alors, vous allez jusqu’à St Jacques ? Vous ne trouvez pas qu’il est beau notre pays ? C’est ici qu’il faut passer vos vacances ! etc..
Après quelques instants de conversation je continuai mon chemin et vis que les pèlerins qui me suivaient s’arrêtaient eux aussi, à tour de rôle, pour prolonger la discussion.
Le soir, une fois arrivé au gîte on avait le temps de faire plus ample connaissance. C’est au cours d’un repas entre pèlerins à Conques que j’appris beaucoup de choses sur les coutumes de la région. Ce qu’étaient les garriottes, les cazelles, les mâts des élus, les maisons de l’assemblée.
Ce qui est aussi particulier sur ce " Camino " avec le flot de pèlerins qui transite c’est qu’on est parfois au courant de ce qui peut se passer à plusieurs étapes en avant ou en arrière. Certains se plaisent à laisser des petits mots au bord du Chemin, punaisés sur un arbre ou laissés sous un caillou. Parfois avec une pointe d’humour, parfois sous forme de réflexion un peu plus philosophique, comme cet écrit bien connu des pèlerins, calligraphié sur un grand mur à proximité de Logrono (dont je donne la traduction un peu lus bas).
Un jour, au gîte d’étape, j’eus la surprise de voir un pèlerin me rapporter quelques objets personnels que j’avais laissés à plusieurs kilomètres en arrière. Ne me connaissant pas il demanda à qui cela appartenait en précisant que c’étaient d’autres pèlerins qui les avaient eux-mêmes trouvés.
Les pèlerins étant d’une extrême diversité, on peut aussi faire des rencontres passionnantes avec des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir dans la vie de tous les jours. Quelquefois même, des gens un peu illuminés, mais cela fait du bien. J’en citerai un exemple :
Alors qu j’empruntais la route goudronnée, dans une région d’Espagne très montagneuse, je fus rejoint par un cycliste et tout en continuant d’avancer, l’un sur son vélo et moi à pied, nous avons parlé ensemble un bon moment.
Il fallut accorder notre rythme l’un à l’autre et comme j’aime marcher vite cela ne posa pas trop de problèmes.
C’était un jeune italien qui faisait le pèlerinage depuis Naples. Il me dit qu’il s’appelait " Hélios " (ce qui signifie soleil) et semblait être un peu disciple de St François d’Assise.