Trois éléments importants : l’eau, le bâton, les pierres.

L’eau

On ne verra jamais personne faire le Chemin sans avoir de l’eau avec soi car l’eau est un élément vital pour le pèlerin.
On fait aujourd’hui des poches qui se placent sur le haut du sac à dos, de telle sorte qu’on puisse boire, en marchant, avec un tuyau dans la bouche. Il paraît que c’est très pratique. J’ai vu de nombreux pèlerins utiliser ce système.
Il faut boire, même quand on n’en a pas envie, pour éviter la déshydratation. Ne pas boire suffisamment augmente les risques de tendinite.
Le pèlerin est donc toujours préoccupé par son approvisionnement en eau. Il ne doit jamais oublier de remplir sa " poche " ou sa gourde avant le départ. En certains endroits il trouvera des sources spécialement aménagées. Mais il y a des fontaines dont l’eau n’est pas
potable et il devra s’en méfier. Il y aura des étapes au cours desquelles les points d’eau seront rares.
Or, durant tout ce parcours, on passe bien souvent à côté d’un étang, d’un canal, d’un ruisseau, d’une source et lorsqu’il fait chaud on peut être tenté d’y remplir sa gourde ou tout simplement de s’y rafraîchir.
En Espagne, durant des kilomètres, dans une région aride, j’ai longé des réseaux d’irrigation tout à fait impressionnants. Une eau fraîche s’écoulait en bruyants tourbillons, mais il ne fallait pas la boire...
Ainsi, durant mon pèlerinage, l’eau fut un élément essentiel et presque toujours présent, à la fois parce qu’elle agrémentait le paysage de façon très vivante, et parce que mon corps en avait besoin. Ne pas boire suffisamment aurait constitué pour moi un réel danger.

Le bâton

La tradition veut que les pèlerins se munissent d’un bâton qui s’appelle normalement un " bourdon " et cet usage a continué de se perpétuer jusqu’à nos jours.
La grande majorité des marcheurs que j’ai rencontrés avaient leur bâton. Certains en avaient même deux, et ils s’en servaient un peu à la manière des skieurs de randonnée. Ils avaient d’ailleurs des bâtons télescopiques et donc réglables en hauteur avec des poignées ergonomiques ce qui, à mon avis, leur donnait plus un air de randonneurs que de pèlerins. Mais même dans ce domaine on ne doit pas juger sur les apparences.
D’autres pèlerins, et il y en avait beaucoup de la sorte, s’appuyaient sur un bâton sans prétention, taillé à la hâte dans un bois encore vert.
En ce qui me concerne, j’attachais une importance primordiale à cet " accessoire ". Il était, pour moi, aussi important que la créanciale remise par mon évêque.
Je l’ai trouvé, plusieurs années avant mon pèlerinage, au cours d’une promenade dans la Creuse. Il est en coudrier et semble avoir été sculpté en forme de torsade, ceci n’étant que l’effet naturel d’une liane qui lui a donné cette forme régulière. Ce qui pour moi est tout un symbole : mon bâton de pèlerin est né d’une blessure comme celle que nous portons tous. Et par cette lutte, dans la nature, il a acquis toute sa beauté.
J’y ai incrusté une médaille de la Vierge pour le rendre encore plus beau et digne de me conduire sur le Chemin de St Jacques.
J’utilisais mon bâton de diverses façons : A plusieurs reprises il m’a servi à éloigner des gros chiens particulièrement agressifs. Il s’est révélé très efficace, les chiens ayant peur lorsqu’on les menace avec un bâton.
Toutefois, je n’aurais pas voulu me servir, même pour frapper un animal, d’une " arme " portant l’effigie de la Ste Vierge. C’était déjà bien assez que je puisse le brandir pour éxécuter quelques moulinets...
Lorsqu’il y avait des pentes très escarpées, en montée ou en descente il me servait à éviter de glisser ou de faire un faux pas.
Un jour, de façon imprévue, je me trouvai obligé de traverser un cours d’eau en Espagne. Il était devenu large et profond. Il avait été grossi probablement par des vannes ouvertes par les agriculteurs. J’avais de l’eau au dessus des genoux, le lit du ruisseau n’était qu’un amas de gros cailloux glissants, le courant était fort et l’eau glaciale. Le matin, j’avais soigneusement protégé mes ampoules par des bandages tout neufs. Sans l’aide de mon bâton, avec mes ampoules aux pieds et le sac pour me déséquilibrer, j’aurais été bien en peine de traverser le ruisseau sans tomber dans l’eau.
Lorsque je marchais vite, je le tenais par le milieu, presque horizontalement et le balançais ainsi à la cadence de mes pas ; j’avais alors sous mon regard la médaille dorée de la Vierge dont les reflets scintillaient au soleil. Ainsi, ce bâton était pour moi beaucoup plus qu’un outil pour marcher. Sans lui, je ne me serais pas senti être un vrai pèlerin.
_Les pierres.

Tout au long du Chemin de St Jacques, il y a comme une histoire, une sorte de complicité, du pèlerin avec la Pierre, les pierres sous toutes leurs formes, des plus primitives aux constructions les plus élaborées, depuis les vulgaires cailloux du Chemin jusqu’aux chapiteaux sculptés des humbles églises et aux tympans des cathédrales ; rocailles où le pied bute et la cheville peut se tordre, murs de pierres savamment posées qui bordent les chemins du Lot, " mégalithes " de Galice en guise de piquets de clôture, pierres que le pèlerin dépose à la Cruz de Hierro, sur les bornes du Chemin et au pied des calvaires, ces pierres, accompagnent de façon parfois explicite, et parfois mystérieuse, le pèlerin jusqu’à St Jacques.. Du moins est-ce ainsi que je l’ai ressenti.
Tout au long du Chemin, peut-être à force de les voir rouler sous ses pieds le pèlerin les ramasse et les dépose au pied des nombreux calvaires, probablement pour dire : " Moi, pèlerin de St Jacques, je suis passé par là... Ce calvaire est bien sur le Chemin. "
Ailleurs, ce sera, tout simplement, une flèche faite de pierres assemblées, pour marquer la direction.
Il y avait paraît-il, autrefois en Espagne, une carrière d’où chaque pèlerin devait se charger d’une lourde pierre et la transporter durant toute une étape. On avait trouvé là un moyen de transport très économique.
Il arrive aussi qu’on trouve des messages inscrits sur les pierres laissées au bord du Chemin. Mais parfois, ayant choisi plusieurs pierres plus ou moins plates, le pèlerin les superpose en petits édifices fragiles, comme pour marquer son passage. Ce serait, paraît-il une habitude des montagnards pour se repérer. Il y a des endroits, où les pèlerins ont laissé libre cours à leur fantaisie constituant des centaines de petits édicules qui sont parfois des merveilles d’équilibre...
On dirait, finalement, qu’ils ont " joué " avec les pierres.
Ce geste, apparemment innocent, ne nous renvoie-t-il pas à quelque chose de plus profond ?
Qui d’autre que l’homme est ainsi capable et peut trouver un sens à superposer trois, ou quatre vulgaires cailloux ? Et n’est-ce pas ainsi qu’il a commencé sur ce long chemin qu’est l’histoire de l’humanité en érigeant ses dolmens et ses mégalithes, pour finir par bâtir des cathédrales ? J’y vois, pour ma part, tout un symbole.
Le pèlerin de St Jacques n’est, bien souvent, pas plus avancé dans la foi que ces antiques bâtisseurs de mégalithes et pourtant il est bien sur le Chemin. Ce Chemin qui mène à la cathédrale de Santiago.
Oui, il y a dans ce Camino et dans les rapports quotidiens du pèlerin avec les pierres et avec l’eau, une dimension " tellurique ". D’ailleurs, ces pierres, déposées là depuis des millions d’années, qu’elles soient issues du magma, des volcans ou des sédiments, sont-elles aussi inertes qu’il y paraît ?
Lors d’une halte en Espagne, dans la petite ville de Villalcazar, alors que nous étions conviés à recevoir l’antique et solennelle bénédiction du pèlerin dans une très ancienne et magnifique église, le curé a commencé par nous dire d’une voix vibrante et forte :
" Regardez bien cette église dans laquelle nous sommes. Combien de templiers et de pèlerins s’y sont recueillis depuis des siècles ?
N’êtes-vous pas impressionnés par cette puissante architecture ? Ces murs si épais, ces énormes piliers ? Il y a dans ces pierres une énergie COLOSSALE ! "
Puis étendant la main, et appelant sur nous la force de l’Esprit, il prononça la fameuse bénédiction.
Le lendemain, sans m’en rendre compte, j’ai parcouru 46 km...
Il y a plusieurs passages dans l’Ecriture où il est question de pierres.
Lorsque Jésus dit à Simon : " Eh bien ! Moi je te le dis, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. Mathieu 16 -18.
Il y a aussi : " La pierre, que les bâtisseurs ont rejetée, est devenue pierre d’angle. "
Et dans l’Apocalypse de St Jean :
" Au vainqueur.... Je donnerai un caillou blanc. Un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit. "
J’ai montré l’importance pour moi de ces trois éléments : l’eau, le bâton et les pierres.
Cela me rappelle l’histoire de Moïse, un grand pèlerin devant l’Eternel qui a conduit son peuple pendant quarante ans dans le désert. (Je signale au passage que si les hébreux avaient marché à la même cadence que moi, ils auraient fait plus de 10 fois le tour de la terre...! Donc ils ont dû soit tourner en rond, soit camper 39 ans au même endroit)
Moïse ne voulait pas laisser son peuple mourir de soif.
Alors, en un seul geste, le pèlerin qu’était Moïse a réuni ces trois éléments : il prit son bâton pour frapper le rocher et en faire jaillir de l’eau. Curieuse coïncidence !
J’ai regretté de ne pas avoir le même pouvoir, sur le Chemin de St Jacques. Cela m’aurait été bien utile. Après tout ce qui s’y est passé de merveilleux, tous les miracles accomplis depuis des siècles ! j’aurais peut-être eu ma chance, mais j’avoue que je n’ai pas essayé. Et puis, comme il y a déjà un endroit où le vin, proposé gratuitement au pèlerin, coule à flots... Que demander de plus ?