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SANTO TORIBIO « LA PEREGRINACION INCREIBLE. »

(17-18-19 MARS 2006)

« PERIPLE en PAYS de CONNAISSANCE ... »

par Pierre ROUSSEL

Lamento

Disque dur de l’ordinateur ou disque intervertébral, tout se déglingue ! Décidément, ça ne tourne pas très rond ! Bon, allez, changeons de disque et cessons de pester contre ces malencontreux coups du sort. Je reprends donc la plume malgré la grippe aviaire dont nous menacent les oiseaux de mauvaise augure dans leurs « canards. »

Vendredi 17 Mars 2006

Déjà, lors de notre première halte devant le porche de l’Eglise Santa Maria de Bareyo, le ciel bleu, la douceur de l’air et la chaleur des rayons du soleil viennent démentir les sombres pronostics des météorologistes. Seul notre magnifique car fait un peu grise mine car les passagers n’ont d’yeux que pour le chauffeur, Magali qui, pour se faire pardonner de nous tourner le dos, offre aux regards un ravissant tatouage polychrome sur son épaule droite. Nicole, soucieuse du salut des âmes des pèlerins dont elle a la garde, nous ramène sur le droit « chemin » en nous faisant chanter en chœur « Où vas-tu Pèlerin ? » et « Ultreïa ! »

Et voilà donc notre groupe chaleureusement accueilli par le Père Don Ernesto de Güemes dont la barbe blanche ne parvient à dissimuler ni le sourire ni la bonté qui illuminent le visage de cet aimable patriarche. Avec des mots simples tout empreints d’humanité et de charité, il évoque pour nous l’esprit du pèlerinage : chacun s’y retrouve face à face avec lui-même, s’émerveille de la beauté des paysages ou des monuments, mais surtout apprend à s’ouvrir pour rencontrer, comprendre et respecter les autres :
« Buscamos otra Navidad cuando un hombre se acerca a otro para
llamarlo hermano y le trata como tal. Caminemos en este sentido. »

Cette leçon qu’enseigne le Chemin, il la met quotidiennement en pratique en intégrant au sein de sa mission de prêtre des actions caritatives dans sa région, mais également dans les pays déshérités ou ravagés par des catastrophes naturelles.

Après ce bref sermon en plein air, la visite de l’Eglise romane de Santa Maria de Bareyo (XII ème siècle) nous impressionne par la simplicité, la pureté et la beauté de son architecture ; mais la lumière qui l’inonde nous fait découvrir derrière les motifs sculptés des chapiteaux ou des fonts baptismaux les symboles qui annoncent la Résurrection, la victoire du Bien sur le Mal par le Baptême et l’assurance de la Vie éternelle.

Sur le Chemin de la Côte en Cantabrie, le long du littoral, la gastronomie tire le meilleur parti possible des ressources de la pêche, et, après une somptueuse paella aux fruits de mer, nous quittons la vallée de l’Ajo pour rejoindre, de l’autre côté de la Baie de Santander que les pèlerins traversent aujourd’hui comme autrefois en bateau depuis l’embarcadère de Somo, « la ville au douze collines, » Santillana del Mar.

Après avoir quitté à regret le Père Ernesto à Bareyo, nous sommes maintenant chaperonnés par Luis José Izquierdo qui, l’an dernier à la même époque, m’avait accueilli à l’Albergue de Santander, à quelques pas de la Cathédrale où trois mille fidèles assistaient à un service à la mémoire du Pape Jean-Paul II décédé la semaine précédente.

Dans des registres très différents, Don Ernesto et José ont, l’un comme l’autre, à cœur de nous faire partager leur passion pour le CAMINO de la COSTA. Pendant deux jours, José, conférencier « embarqué » humblement accroupi aux pieds de Nicole, se dépensera sans compter pour nous faire découvrir les monuments et les paysages et, toujours débordant d’enthousiasme et de joie de vivre, nous communiquer, l’œil pétillant de malice, son amour de cette belle Province de Cantabrie.

Dans Santillana del Mar, tout au long des étroites rues empierrées ou pavées dominées par les façades austères des maisons-tour, des « casonas » ou des palais, de la Collégiale Sancta Juliana jusqu’au Musée Diocésain d’Art Sacré hébergé dans les murs du Monastère dominicain de Regina Coeli, José mène notre valeureuse petite troupe au pas de charge, tout en débitant avec animation un commentaire fort bien documenté, toujours avec force gesticulation et sans jamais reprendre haleine ni nous laisser de répit. Quelle fougue ! Quel entrain !

Comme l’Eglise Saint Martin de Fromista, étape incontournable sur le Camino Francès, et autre « joyau de l’art roman, » Sancta Juliana compte trois nefs. Mais le sarcophage de la Sainte qui donna son nom à la ville et dont le martyre fut un « chef-d’œuvre » de cruauté et de raffinement, relève du style gothique. Les chapiteaux de style roman du Cloître édifié au XII ème siècle, ainsi que de nombreuses statues mise en sûreté au Musée Diocésain, témoignent de la richesse et de la variété de l’Art Médiéval. Rustiques, primitives, ou élaborées, raffinées, d’une facture soignée et recherchée, ces sculptures sont autant de chefs-d’œuvre réalisés par des artistes ou même de simples artisans animés par la foi et la piété à une époque où la majorité des fidèles étaient illettrés.

L’Hôtel Altamira, édifice somptueux du XVI ème siècle, où le bois et la pierre se marient harmonieusement pour recréer l’illusion de l’opulence et de l’art de vivre des siècles passés, nous accueille pour la soirée dans son cadre historique qui abrite une véritable collection de « piezas montenesas, » meubles typiquement régionaux.

Le repas sera présidé par Bautista Corral-Casanova, Président de l’Association du Camino del Norte, qui remettra gracieusement à chacun des convives un exemplaire du Guide du Pèlerinage à Santo Toribio édité à l’occasion du Jubilé de ce monastère.

Samedi 18 Mars 2006

La matinée s’ouvre avec la visite des Grottes d’Altamira où furent découvertes par hasard en 1868 des peintures rupestres polychromes remontant au Paléolithique Supérieur dans une salle souterraine baptisée depuis « Chapelle Sixtine de l’Art Quaternaire. » Les spécialistes de la Préhistoire pensent que, déjà dans la nuit des temps, de véritables migrations poussaient les hommes vers « le bout des terres, » là où le soleil disparaît mystérieusement dans la mer. Les pèlerins à leur tour prendront le relais de ces lointains ancêtres qui nous ont laissé des traces impressionnantes que l’on peut suivre d’Est en Ouest tout au long du littoral Cantabrique.

Les objets exposés dans le Musée Archéologique sont le fruit d’une ingéniosité prodigieuse ; et la maîtrise des techniques indispensables pour les réaliser avec une telle perfection en ne maniant que des outils rudimentaires tout en tirant le meilleur parti possible des matériaux disponibles, est proprement stupéfiante.

Mais notre admiration pour ces manifestations de l’intelligence de nos lointains ancêtres cède la place à l’émerveillement quand nous constatons la volonté d’ajouter gratuitement à ce qui était nécessaire et indispensable pour la survie de l’individu et de l’espèce une préoccupation esthétique, « un supplément d’âme. » Les outils sont finis avec soin, décorés, enjolivés de motifs figuratifs ou géométriques délicatement gravés avec la pointe d’un stylet.

Et pour les peintures pariétales, la recherche de l’utilisation optimale du relief ou des particularités de la roche qui servait de support à l’artiste, afin de produire un effet de profondeur, de troisième dimension, de perspective ou de mouvement, ne supposait-elle pas déjà une approche esthétique du réel, une analyse « impressionniste » de la perception visuelle ?

La rencontre avec l’autre, cet « homme des cavernes » aussi « primitif » serait-il a priori, croisé à l’occasion de ce pèlerinage à rebours au fil des âges de l’humanité, sera finalement au même titre qu’une rencontre sur le Chemin, source d’enrichissement pour ses lointains descendants.

Retour à la surface et au temps présent, mais encore au passage un bref coup d’œil en arrière lorsqu’on devine par la fenêtre du car des sites remarquables, des points de repère lors des étapes du pèlerinage effectué à pied : San Pedro de Orena, fièrement juché sur une colline, ou Cobreces avec son Abbaye bleu-pastel et son Eglise couleur-cassis, deux lieux de culte, mais qui semblent encore se défier en exhibant sans retenue la fortune colossale, mais bien récente, de leurs généreux donateurs, négociants revenus dans leur village natal avec leurs économies amassées dans le Sud de la Péninsule Ibérique.

Comillas, par contre, doit son enrichissement et sa vogue aux généreuses largesses d’un « Indiano » qui avait été, comme beaucoup de ses compatriotes au XIX ème siècle, tenter l’aventure aux Amériques. Son rêve réalisé, il devînt le bienfaiteur de sa ville natale où il fit construire à ses frais l’Université Pontificale qui fait face à sa résidence officielle, le Palais de Sobrellano.

Cet ancien port de pêche à la baleine devînt ainsi une station balnéaire à la mode dont le monument le plus original est sans conteste le « Capricho, » une « folie » ou s’exprime en toute liberté l’imagination du « génial Antonio Gaudi » dans une tentative audacieuse en vue de réaliser une synthèse harmonieuse de styles architecturaux pratiqués en Espagne à différentes époques. On se laisse facilement surprendre, fasciné par l’exubérance, la recherche dans le détail, la variété des motifs des céramiques, l’originalité de trouvailles inattendues ... et, au final, par la parfaite « gratuité » de l’œuvre. Mais n’est-ce point précisément la fonction principale de l’art ?

Le pèlerin se doit de garder les pieds sur terre et « sans transition, » toujours guidé par José, nous allons suivre l’avancement des travaux sur le chantier de construction du futur Albergue de Comillas qui doit être bientôt inauguré.

Après avoir traversé la zone lagunaire d’Oyambre, nous franchissons, en apnée, comme l’exige la légende, le Pont de la Maza et ses vingt-sept arches, afin d’obtenir la réalisation d’un vœu formulé en secret, par exemple la rencontre d’une jeune fille à épouser. L’arrivée à San Vicente de la Barquera est décidément une expérience à vous couper le souffle ... tant la ville semble harmonieusement intégrée au site naturel. Le groupe déguste un plantureux repas avant de flâner par les rues pavées du Quartier Historique qui nous invitent à longer la muraille du château-fort jusqu’au sommet de la colline pour constater que l’imposante Eglise Notre-Dame-des-Anges complétait efficacement le dispositif de défense de la ville contre les envahisseurs venus de la mer. Nul doute que cette Eglise à la silhouette particulièrement massive a été construite sur un emplacement choisi en raison de sa valeur stratégique, et la vaste terrasse qui l’entoure, véritable poste de guet, semble s’avancer telle la proue d’un navire dans la zone marécageuse qu’elle surplombe.

Le temps est superbe et, depuis ce chemin de ronde, mirador qui domine les toits de la vieille ville moyenâgeuse, le port, les rias, on peut aussi s’émerveiller du panorama grandiose qu’offrent dans le lointain les « Picos de Europa » encapuchonnés d’une neige éblouissante dans la lumière du soleil.

En contrebas, dans une cour d’école, des enfants répètent un chant pour la Fête de la « Folià » où, comme le veut une tradition solidement ancrée dans les régions maritimes, les pêcheurs emmèneront en pleine mer la statue de leur Sainte Patronne, ici Notre-Dame-de-la-Barquera, pour implorer sa protection contre les périls qui les menacent ... Maquettes de bateaux suspendues dans les nefs ou humbles plaques de marbre gravées, les ex-voto sont nombreux dans les chapelles du littoral.

Sous l’imposant vaisseau de pierre que représente cette église fortifiée, un Albergue sera très bientôt en mesure d’accueillir dignement les pèlerins. San Vicente de la Barquera était une étape obligatoire dans le passé pour les jacquets, mais de l’ancien hospitalet ne subsistait plus aujourd’hui que le portail.

Avant de trouver un repos bien mérité à l’Hôtel Infantado de Ojedo, le trajet nous offrira encore un autre spectacle particulièrement grandiose, presque à donner le frisson, « el Desfiladero de la Hermida, » long, étroit, profond, sinueux, vertigineux ! Notre chauffeur, Magali, peut nous donner toute la mesure de sa virtuosité au volant de son mastodonte parfaitement maîtrisé. Quel brio !

Au fond de ces gorges coule le Rio Deba qui sert de frontière naturelle entre la Cantabrie et les Asturies. De l’autre côté du pont, la ville asturienne d’Unquera détient jalousement la recette des célèbres « Corbatas, » une spécialité locale que José aimablement ne manquera pas de nous faire déguster.

Je pense que tous les membres de notre groupe seront tout particulièrement reconnaissants à Nicole d’avoir contacté en Cantabrie des correspondants Espagnols aussi impliqués dans leur rôle d’ « animateurs » sur le Camino del Norte : ils ont su, l’un comme l’autre, au fil des étapes, évoquer l’esprit des lieux, églises, chapelles, sanctuaires, monastères, qui constituaient pour les pèlerins comme un chapelet de points de rencontre et d’échange avec les populations locales. En nous faisant partager avec spontanéité, confiance, sympathie et enthousiasme, leurs connaissances et leurs sentiments, nos deux mentors nous ont permis d’approcher l’âme, l’esprit ou le cœur de cette région qui nous accueillait si gentiment.

Dimanche 19 Mars 2006,

Troisième Dimanche de Carême,
Saint Joseph, Saint José, Sainte Josette.

Après une agréable mise en jambes dans les rues ensoleillées de Potes, Capitale de la Liebana, avec ses ponts médiévaux qui enjambent les Rios Deba et Quiviesa, et sa Torre del Infantado qui veillait à la sécurité de cette ville, nous montons jusqu’au Monastère de Santo Toribio, étape ultime de notre périple. En cours de route, nous nous autorisons une halte près d’un ermitage pour contempler les « Picos de Europa » dont les majestueux sommets qui culminent à plus de 2600 mètres dominent la cuvette de Liebana, confluent de quatre vallées de la région.

L’Eglise où nous assistons à la messe est de style gothique : pureté, simplicité, netteté, dépouillement, luminosité, tout contribue à y refléter sans concession l’implacable rigueur de l’ordre de Saint Bernard.

2006 est une Année Jubilaire pour le Monastère de Santo Toribio car la Fête de ce Saint, fondateur de ce monastère, célébrée le 16 Avril, tombe un Dimanche. Elle coïncidera cette année avec le Jour de Pâques, et la Porte du Pardon ne sera donc ouverte à la foule des pèlerins que le Dimanche suivant. « 23 de Abril de 2006 : Apertura de la Puerta Santa. » Comme à Rome, à Jérusalem ou à Santiago de Compostella, les pécheurs bénéficieront exceptionnellement à cette occasion d’une Indulgence plénière.

On tend à considérer en Cantabrie que le pèlerinage de Santander jusqu’à Santo Toribio de Liebana peut représenter une possibilité de jonction providentielle entre le Camino del Norte et le Camino Francès.

Le Monastère comptait en son sein au VIII ème siècle un moine du nom de Beato qui consacra sa vie à commenter et à illustrer l’ « Apocalypse selon Saint Jean. » La renommée de ce manuscrit, en raison de la profondeur de l’exégèse et de la qualité artistique des illustrations, transforma le nom de son auteur en un nom commun qu’utilisent encore de nos jours les bibliophiles et les historiens de l’art pour désigner ce type d’ouvrage.

Le Monastère doit également sa réputation au sein de la Chrétienté au fait qu’il abrite le « Lignum Crucis, » une relique d’une valeur inestimable, le plus grand morceau connu de par le monde de la Croix du Christ, un fragment qu’aurait rapporté de Terre Sainte avec d’autres reliques, le moine Santo Toribio, futur évêque d’Astorga.

Les pèlerins encore aujourd’hui, comme par le passé, viennent en nombre adorer cette relique, rassurés et confortés dans leur croyance que ce symbole de mort, ce témoignage du sacrifice du fils de Dieu, ainsi sublimé par sa victime, s’est changé en promesse de Résurrection, de Renaissance et de Vie éternelle.

Sous la houlette de Nicole, à la fin du service, lors de cette procession des fidèles rassemblés pour vénérer la sainte relique, les Amis-des-Chemins-de-Saint-Jacques des Pyrénées-Atlantiques entonnent à pleins poumons « ULTREIA ! »

Et, le porche franchi, comme un signe envoyé du ciel, voilà que le soleil d’un nouveau Printemps vient illuminer nos visages ...

Peregrino que en Santiago,
al criado has de abrazar,
deten tu marcha en Oviedo
para al Senor visitar.
Pero no olvides crucero,
que antes que alli, arribaras
a Santo Toribio en Potes,
para que puedas besar
un trozo de aquel madero
Donde Cristo quiso estar
para pegar por nosotros
y quedar con Dios en paz.