Pourquoi le pèlerinage jacquaire a-t-il pris une telle importance, ces dernières années ?
Phénomène de mode ? Vraie recherche d’absolu ? Défi sportif ? Expression de foi ? Quête spirituelle ?
Sans doute y a-t-il, parmi les pèlerins, des représentants de chacune de ces options, et d’autres encore.

Débutant vers 830, en progression constante jusqu’au XII° siècle, il est ensuite contesté, tant en raisons des excès des récits miraculeux véhiculés par les légendes, que par un retour à une foi intériorisée qui se réfère peu à des gestes publics.

Malgré l’indulgence plénière accordée au pèlerinage lors des années saintes, le pèlerinage devient confidentiel, et, au fil du temps, tombe même en désuétude. De plus, les reliques sont cachées pour échapper à une attaque des Anglais en 1589, et sont finalement perdues, pendant prés de trois cents ans.
En 1867, année sainte, seuls une quarantaine de pèlerins participent à la fête de l’apôtre, le 25 juillet, à Compostelle.

Depuis un siècle, les débats sur la vérité historique des récits jacquaires, la redécouverte des reliques en 1878, et les controverses sur la réalité de la présence de Saint Jacques en Galice relancent la renommée du pèlerinage.
Les voyages de Jean-Paul II en 1982 et 1989 lui confèrent ses lettres de noblesse. Enfin, son classement par le Conseil de l’Europe en 1987 en tant que « itinéraire culturel européen » achève de lui donner une renommée mondiale.
Prés de 5 000 pèlerins en 1990, plus de 70 000 en 2003, en passant par les années saintes de 1993 (100 000) et 1999 (150 000). Les chiffres de 2004 s’annoncent tés importants.

Le pèlerin qui se lance dans l’aventure, dispose aujourd’hui d’une information très complète sur ce qui l’attend. Des guides modernes et détaillés, largement diffusés en librairie, remplacent les premiers écrits et récits de Aymeric Picaud (XII° siècle) de Kunig Von Vach (XV° siècle), ou de Domenico Laffi (XVII° siècle).
Trois guides en français et un en castillan sont les plus utilisés.
Plusieurs chemins se sont développés au fil du temps et grâce aussi aux nombreuses informations que se transmettaient les pèlerins.

Notre département des Pyrénées Atlantiques a la particularité d’être le seul où passent les six voies traditionnelles.

La voie de la côte, la plus ancienne pour des raisons historiques et géopolitiques,
arrive de Tarnos et passe par Saint Esprit, Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye. Sous le nom de Chemin du Nord, elle suit la côte cantabrique jusqu’à Ribadeo et rejoint la voie actuelle à Arzua, à 40 kilomètres de Compostelle.

La voie du Piémont arrive de Carcassonne et, passant par Lourdes, longe le pied des Pyrénées jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Seuls certaines portions des autres voies sont classées au patrimoine mondial de l’humanité.

La voie d’Arles (Arletensis ou Tolosana) arrive par Morlaas et Pau, traverse Oloron et remonte la vallée d’Aspe pour passer la frontière au Somport, où se dressait un hôpital de pèlerins, l’un des trois plus importants du monde, selon Aymeric Picaud. Elle rejoindra les voies suivantes à Puente la Reina, après Pampelune.

La voie de Tours (Turonensis) arrive de Paris par Sorde-l’Abbaye et Viellenave, et va à Saint-Palais, où elle rejoint la voie suivante.

La voie de Vézelay (Lemovicensis) passe par Limoges et nous arrive par Orthez. Elle passe à Sauveterre et, grossie de la voie de Tours à Saint-Palais, elle continue vers Ostabat.

La voie du Puy (Podensis), de loin la plus fréquentée, se confond quasiment avec le GR 65. Elle arrive par Arzacq, puis Arthez et passe par Navarrenx avant de récupérer la liaison avec les deux précédentes au lieu-dit Gibraltar, à Uhart-Mixe, prés d’Ostabat. Elle poursuit ensuite jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, et passe la montagne à Roncevaux. Elle traverse Pampelune et rejoint la voie d’Arles à Puente la Reina.

A partir de là, il n’y a plus qu’un chemin jusqu’à Santiago : le Camino Frances.

Par la voie de Tours, par exemple, à partir de Peyrehorade, c’est un périple de quelques 850 kms et le franchissement de trois chaînes de montagne qui attend le pèlerin.

Prendre ce chemin, c’est réaliser une aventure d’aujourd’hui sur les routes d’hier.

Et ouvrir un topo-guide pour le lire, c’est déjà se mettre en route.

Partir ainsi, sac sur le dos, et bâton en mains, est au moins, une aventure spirituelle. On ne part pas pendant quelques 35 ou 40 jours, à 25 kms de marche à pied par jour, sans se trouver confronté à soi-même et sans que cette marche ne laisse des traces dans la tête.

Pour rejoindre Saint-Palais, il faut suivre, depuis Sorde, le balisage installé par l’Association des Amis du Chemin de Saint Jacques des Pyrénées Atlantiques.
La marque est une coquille bleue, insérée dans une flèche jaune d’une dizaine de centimètres de long.
A partir d’Ostabat, le balisage est assuré par le GR 65. Le balisage du Camino Frances consiste en une flèche jaune peinte sur tout support visible.

Cette première étape réserve déjà une première surprise : la traversée du gué de Camito, avant de revenir sur la D11.
A Saint-Palais, la communauté des Franciscains offre un accueil chaleureux et un logement confortable, en ½ pension.

De Saint-Palais à Saint-Jean-Pied-de-Port, après la stèle de Gibraltar, le chemin monte à la chapelle de Soyarce, qui offre une vue magnifique sur la chaîne pyrénéenne qui approche. On redescend à la chapelle d’Harambeltz, vestige d’un hôpital (refuge) ancien.

A Saint-Jean-pied-de-Port, on rencontre beaucoup de monde du fait que de nombreux pèlerins commencent leur chemin ici, ou à Roncevaux.
Un ensemble de bénévoles s’y relaient pour assurer l’accueil des pèlerins de mars à novembre.

L’étape suivante est redoutée par la plupart des marcheurs. Plus de 27 kms de montagne, 1 250 m de dénivelé, les jambes encore peu habituées, pour ceux qui commencent leur périple, la méconnaissance de ce type de marche, en font une étape dont on se souvient et l’arrivée dans la très célèbre Collégiale de Roncevaux par le col d’Ibañeta, lieu de la légendaire bataille où Roland succomba, ajoute encore au caractère très particulier de cette étape.

On y rencontre les pèlerins espagnols qui, pour la plupart, commencent ici la longue route vers Compostelle.

De Roncevaux à Puente la Reina, trois jours de marche qui permettent de traverser la très belle partie historique de Pampelune. Peu après cette ville, la montée de l’Alto de Perdon nous met à l’épreuve. La montée est rude, mais au sommet, une sculpture de cavaliers de fer nous annonce que nous sommes à l’endroit « où le chemin du vent croise celui des étoiles ». Prés de nous, en effet, une série d’éoliennes croise notre route. Ce trajet nous amène aussi à la merveilleuse chapelle de Eunate.

Construite par lesTempliers, de facture romane, cette chapelle à la double orientation est-ouest et nord-sud reste un mystère aux yeux du passant.
Elle fut, sans doute, un lieu de sépultures, une nécropole ancienne. Mais sa petite taille et sa situation, toute seule, au milieu des champs, lui donnent un cachet incomparable.

A Puente la Reina se rejoignent les routes de Saint Jacques, pour ne plus faire qu’un chemin jusqu’au tombeau de l’Apôtre. C’est ce que proclame une grande fresque sur le mur d ‘une avenue du centre ville.

A 100 mètres de là, le pont le plus célèbre de la route et qui a donné son nom à la ville, fier de ses dix siècles, a permis à des millions de jacquets de parcourir le chemin des étoiles, en franchissant l’Arga.

Le pont nous ouvre la route d’Estella. En sortant de cette ville, une halte s’impose au monastère d’Irache, dont la terre est aujourd’hui occupée par un producteur du célèbre vin de Navarre. Tout pèlerin est invité, en passant, à se servir gratuitement une dose de vin destinée à lui donner le courage nécessaire pour accomplir vaillamment le reste du voyage. Une générosité peu commune.

Depuis Pampelune, notre groupe s’est progressivement constitué d’une dizaine de pèlerins. Un barcelonais d’âge mûr ayant perdu travail famille et logement, deux madrilènes quinquagénaires, un jeune japonais trois étudiants allemands, un diabétique de 80 ans qui fonctionne à l’insuline, un médecin vosgien dépressif, et moi-même administratif préretraité. L’un des 3 jeunes allemands, Anton, m’oblige à reconstituer les paroles du Salve Regina qu’il a vues quelque part et que j’ai bien du mal à me rappeler. Dés que c’est fait, il organise tous les soirs des moments de retrouvailles dans l’église locale, où il chante ce chant. Dans la journée, son visage rayonne. Sa copine lui ressemble. Ces jeunes sont incroyables. Leur contact, leur générosité, leur manière d’être, valent tous les discours.
...Merci, Anton,...

En compagnie de ce groupe, on passe une belle semaine, avec diverses étapes à Los Arcos, Viana, Navarrete, Nàjera, et on arrive à Santo Domingo de la Calzada.
Là, nouvelle surprise. On y retrouve l’histoire du pendu-dépendu.

Au XIV° siècle, un jeune homme fait la route avec ses parents et s’arrête à l’auberge. La servante tombe amoureuse de lui et lui offre sa chambre. Mais lui, refuse. Par vengeance, elle cache un objet de valeur dans le sac du jeune homme et l’accuse de vol. Condamné, il est pendu sur-le-champ. Ses parents, effondrés, finissent le pèlerinage, et, au retour, retrouvent leur fils toujours pendu, qui se met à parler, leur dit que St Jacques l’a soutenu sous ses pieds, et leur demande d’obtenir sa grâce auprès du juge local.
Celui-ci, attablé devant un coq et une poule rôtis, se moque d’eux et dit que leur fils est aussi mort que les volatiles qui sont dans son plat. Aussitôt, les deux animaux sautent du plat et se mettent à chanter. Le juge, convaincu, rend le jeune homme à ses parents, et la servante est pendue à sa place.
C’est la transcription du 5° des 22 miracles attribués à st Jacques.

Depuis 1445, dans la cathédrale, on a construit un poulailler à côté de la nef centrale, où l’on fait séjourner, à longueur d’année, un coq et une poule blancs, élevés dans ce but, et que l’on remplace chaque mois, pour perpétuer le souvenir de cet épisode

Cinq kilomètres plus loin, à Grañon, l’accueil du curé avec sa soupe à l’ail pour tous les arrivants devient légendaire, même si, l’âge venant, l’enthousiasme est plus mesuré.

Après les étapes de Belorado et des Montes de Oca , encore un accueil chaleureux et la soupe à l’ail, par le curé San Juan de Ortega. Le lendemain, sur la route de Burgos, le chemin passe par Atapuerca, haut lieu de la préhistoire, où l’on a retrouvé en 1922, les ossements d’homo sapiens les plus anciens d’Europe et en grand nombre.

L’arrivée à Burgos est digne de la renommée de cette ville. On entre royalement dans le centre ville par l’Arc de Santa Maria, et l’arrivée-surprise sur la cathédrale est de toute splendeur. La ville mérite que l’on s’y arrête pour ses monuments, pour le Cid, pour le monastère de las Huelgas, pour le paseo de Espolon, pour le promontoire du château, bref, pour toute la ville.

Le refuge de El Parral, à la sortie de la ville, est le seul existant à Burgos. Le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’il n’est pas à la hauteur des moyens d’une telle cité. Deux ou trois douches ouvertes pour quelques 120 pèlerins entassés dans un méga-dortoir. Aucune de ces douches n’évacue l’eau utilisée qui se répand dans les couloirs. Mais comme le dit la loi des pèlerins : « Le touriste exige ce qu’il veut ; le pèlerin remercie pour ce qu’on lui offre ».

J’y ai toutefois la demi-surprise d’y trouver le prêtre de mon village qui est venu m’encourager. Il me l’avait laissé entendre, mais c’est un tel déplacement ! 320 kms aller, pour ne pouvoir rester qu’une heure sur place. C’est un message du pays, et ça me dit que je ne marche peut-être pas que pour moi.

L’étape suivante peut, selon le choix, être soit le refuge de Sambol (12 places, sans eau ni électricité) perdu tout seul au milieu des champs, soit le village de Hornillos où la statue d’un coq rappelle qu’un tel volatile permit au village de conserver son élevage, malgré la tentative de pillage opérée par l’armée napoléonienne, lors des expéditions de 1806-1809.

La route passe ensuite par Castrojeriz, prés de laquelle se trouvent les vestiges du couvent de San Anton, magnifique hôpital gothique dont il ne reste que de belles ruines.
L’ordre de Saint Antoine fut fondé par le français Guérin, et la croix en forme de « Tau » grec, qui est l’emblème de l’ordre, est devenu le symbole des pèlerins à travers le monde..

Après Castrojeriz, on rencontre Fromista où se trouve ce qui m’a paru être la plus belle église romane du chemin. Cette merveille est ce qui reste d’un monastère bénédictin du XII° siècle. On y trouve encore l’incroyable série de 315 sculptures qui soutiennent l’avant-toit, et dont certaines rappellent celles de Compostelle.
On arrive ensuite à Carrion de los Condes, dont le nom évoque les règlements de compte entre le Cid et ses beaux-frères. Prés de là, à Villalcazar de Sirga, une très belle église rappelle que la Vierge a guéri plusieurs pèlerins qui revenaient de Compostelle sans avoir été secourus par l’Apôtre. Comme quoi, il y a toujours de l’espoir....
A la sortie de Carrion, l’impressionnante façade du monastère de San Zoïlo, de style Renaissance, témoigne de l’importance, au XVI° siècle, de cette étape, dont
on dit qu’elle est située juste au milieu du Camino Frances (ce qui n’est vrai que si on part de Saint-Palais).

Au centre de la cité, deux refuges accueillent le pèlerin., L’un municipal, est très bien indiqué ; l’autre, bénédictin, n’est indiqué que sur demande, ou quand le premier est plein (Transcription locale de Don Camillo et Peppone ?)
Dans le couvent Santa Clara, le pèlerin est accueilli très confortablement, et on apprend même que, lors de son pèlerinage, St François d’Assise s’arrêta dans ce couvent, pour y faire étape. Et peu importe si St François fit son pèlerinage en 1213, et si ce couvent date de 1214......

En sortant de Carrion, le pèlerin doit subir un chemin qui utilise une ancienne chaussée romaine empierrée, absolument rectiligne sur 13 kms, sans arbre, sans relief, ô combien représentative de la Meseta (200 kms de plat dans le chaudron de Castille, à 800 m d’altitude, de Burgos à Astorga).

Au bout de 4 kms, on croise une route goudronnée, sur laquelle un esprit ironique a peint en jaune, sur le goudron : « Animo ! Bar à 9 kms !.. ».
C’est gentil de nous encourager.....

De là jusqu’à Leon, on passera encore trois jours dans la Meseta, où l’on aura traversé Sahagun, tombeau d’Alphonse VI, et le monastère San Pedro de las Dueñas.

Sahagun fut l’abbaye la plus puissante du chemin et disposa de nombreux privilèges.

C’est aujourd’hui le siège du plus grand institut de recherche et de documentation sur le Chemin de st Jacques.

C’est dans cette région, bien que la mémoire me fasse défaut pour être plus précis, que je suis entré dans un village, le seul, sans doute, où aucune flèche n’est visible, du fait que les autorités locales ne souhaitent pas adopter les idées du Chemin.
Alors, un habitant, seul, a décidé de porter remède à la situation en attendant les pèlerins sur son vélo, à l’entrée du village et en les conduisant avec force gestes, à travers les rues du village. Quand il a fini avec les uns, il repart chercher les suivants et en fait une activité constante tout au long de l’année.
Bravo et bon courage..

Léon est la deuxième capitale du chemin qui mérite un arrêt, sinon une vraie visite.
La Cathédrale, le Panthéon St Isidore, ou l’Hostal San Marcos sont parmi les plus beaux monuments que l’on puisse rencontrer.

Le refuge des pèlerins se trouve en plein centre-ville et l’hospitalero (bénévole accueillant) est un français que j’ai rencontré à Uhart-Cize. Ca donne un air du pays.
Avec sa femme, il nous accueille, une carafe de jus de citron à la main. C’est la deuxième (et dernière) fois que ça arrive, sur toute la route.
Merci à ce couple.
Depuis quelques jours, la différence des rythmes de marche, et les obligations de chacun ont fait éclater le groupe de Pampelune. Marcher avec d’autres est

difficile, et même,
beaucoup de pèlerins confirment qu’il est souvent préférable de marcher « seul », c’est-à-dire sans l’obligation de suivre ou d’attendre quelqu’un d’autre. Chacun doit faire son chemin, et il n’est pas souhaitable de faire le chemin des autres, car tout le monde y perd.

J’ai rencontré, depuis, un banquier lillois, jeune retraité. On trouve une formule médiane qui donne toute satisfaction. On marche chacun de son côté et chacun à sa manière, mais on se retrouve à l’étape pour dîner ensemble ou partager les découvertes de la journée. Cette méthode permet de rencontrer plus de monde sur la route et d’élargir le champ des rencontres.

En quittant Leon, une dizaine de kilomètres après la ville, un habitant a installé un banc, devant sa maison. Sur le banc, un cageot et un message en castillan : « Pèlerin, sers-toi. Ces fruits viennent de mon jardin. Ils sont faits pour être partagés et te donner du courage. Bon chemin ».
Ces fruits, je le sais, sont cueillis frais chaque jour et mis à la disposition des passants, de 8 à 13 h. S’il en reste, ils sont consommés par le propriétaire et sa famille, dans la soirée, mais c’est rare. Ainsi va le Chemin et les valeurs dont il témoigne.

Ceci nous amène en 2 jours à Astorga, qui est visiblement le lieu de résidence secondaire de la bourgeoisie de Leon. On y trouve l’extraordinaire évêché construit par Gaudi, au début du XX° siècle, de même style que la maison dite « Botines » de Leon, du même architecte.

Astorga représente sur le chemin, le lieu de plusieurs ruptures. C’est la fin de la Meseta et des routes plates. C’est aussi la fin du GR 65 qui diverge désormais vers la côte. Ca veut dire qu’il faut désormais renouer avec la montagne. Il faudra passer d’abord les Monts de Leon, puis, plus tard, la Sierra d’Ancares.

On ne peut pas quitter Astorga sans une évocation de la gastronomie locale. Les spécialités de poulpe, de maragato (pot-au-feu), ou de mantecas (biscuits) méritent une mention spéciale

Le chemin monte à la Cruz de Ferro, à plus de 1500 m d’altitude. Au point le plus élevé, se dresse un mât de 5 mètres de haut, au sommet duquel est plantée une petite croix. Il faut déposer à son pied une pierre que l’on aura transportée jusque là dans son sac. La tradition voudrait que chaque pèlerin transporte une pierre provenant de son village d’origine. Mais en fait, la plupart la porte depuis la veille.
Beaucoup pensent que la pierre représente le poids de ses péchés que l’on dépose avant d’entrer en Galice. Mais en réalité, ce geste est millénaire et était accompli autrefois en signe d’offrande au dieu Mercure. C’est aujourd’hui, sur les lieux mêmes du culte ancien, le signe d’un vœu pour que le voyage se termine bien. Pour moi, c’est le vœu que la pluie ne vienne pas contrarier la fin du voyage.

Non loin de la Croix de Fer, les sommets sont occupés par l’armée espagnole qui dispose là, du moins pour l’instant, de terrains d’exercice. Au milieu des terrains militaires, un village en ruines traîne sa misère. Au beau milieu du village, vit Tomas. Ancien haut responsable d’un important syndicat national, il s’est installé là, après un voyage à Compostelle, pour tenir toute l’année, un refuge de pèlerins, même sous deux mètres de neige, sans le moindre confort, et loin de tout village ou population. Mais en plus, comme un vieux soixante-huitard, il parsème son refuge de slogans antimilitaristes, du genre : « Les soldats, à la maison ! » ou « non à la guerre ! ». en entrant à l’intérieur du refuge, j’ai même vu, sur un mur, un « Guerrarik ez ! » en lettres de 20 cm de haut.
Il est une provocation permanente à l’armée permanente.

Mais quand un pèlerin a un problème, c’est Tomas qui obtient de l’armée les meilleurs moyens pour le résoudre.
On descend ensuite sur Molinaseca. C’est un dimanche, et je souhaite participer à une messe. En Navarre et dans la Rioja, chacun peut trouver chaque jour une messe du soir, s’il le souhaite, et plusieurs messes le dimanche.
Depuis la Castille, c’est plus difficile. Il n’y a plus de messe en semaine, et la seule du dimanche est à un horaire que la marche ne permet pas de respecter.
Tout au long de la descente, je demande aux habitants que je rencontre, quelle est l’heure de la cérémonie.
Personne n’est vraiment au courant, mais le pronostic le plus consensuel préconise 12 h 15, horaire très crédible en Espagne.
Je force donc l’allure pour arriver à temps, je finis même l’étape en stop et j’arrive à 12 h 20.... pour voir les (quelques) gens sortir de l’église : la messe était à 11 h 15 (rarissime). Je demande au célébrant s’il y a une autre messe. Il me dit que non , et , sur mon insistance, me dit qu’il fallait être là avant, bref, m’envoie balader.
J’apprends, une heure plus tard, par l’hospitalero du refuge, que ce même curé doit dire la messe dans une église de montagne, vers 15 h 00. Il me faut repartir au presbytère, l’après-midi et lui dire fermement de me prendre dans sa voiture, pour qu’il consente enfin à reconnaître qu’il est possible d’aller à la messe un dimanche, même à Molinaseca.

De là, on descend dans la très belle vallée située entre les deux montagnes et qui s’appelle le « Bierzo ». La publicité touristique dit : « Attendez-vous à rêver tout éveillés ». Ce n’est pas loin d’être vrai.

Au creux de cette vallée, Villafranca comporte un vieux château et une église St Jacques dont on dit qu’un nœud de forces telluriques se situe dans le chœur, testé avec une branche de sourcier. Ce qui est vrai, c’est que , lors des années saintes, un pèlerinage miniature a lieu vers cette église. Pour le reste, ce qui se dit est sans doute la marque des récits ésotériques qui jalonnent la route jacquaire. Les manipulateurs de tout poil ne pouvaient pas laisser se dérouler un tel mouvement de foule, sans y prendre part.
A chacun d’écouter la musique qu’il veut entendre.
Mais, au moins, que chaque musique soit signée....

Sur le plan des infrastructures, le Bierzo est tout aussi étonnant.
D’un sommet à l’autre, sur des kilomètres, des ponts sont jetés sur plusieurs niveaux, défigurant, certes, les paysages, mais donnant aussi un superbe confort aux communications routières.

On a déjà rencontré ce paradoxe, dans certains lieux de l’Espagne, sous la forme d’éoliennes nombreuses et très visibles. Eternel dilemme des temps modernes : on produit des techniques utiles, au détriment d’une esthétique écologique et de sans doute plus encore. Où est la vérité ? Est-elle simple ?
Je n’ai aucune compétence pour répondre, mais l’Espagne pose clairement ce type de question.

On redescend à moins de 500 mètres d’altitude pour rejoindre Cacabelos qui nous offre une belle surprise. Le refuge organisé par la municipalité consiste en un complexe sportif mis à disposition des pèlerins. Une série d’une soixantaine de box sont installés en ligne courbe autour d’une église. Chaque box contient 2 lits, mais l’employée communale attribue un box à chaque pèlerin. Nous sommes moins de soixante. Donc, pour la première fois depuis un mois, chacun dort sans crainte d’arbitrer le concours international des ronfleurs qui se déroule chaque nuit.
Et je peux attester que j’en ai connus qui étaient qualifiés pour la finale...

Après cette nuit de repos, il faut franchir les dernières étapes de montagne qui nous font remonter à plus de 1300 m d’altitude, vers le village du Cebreiro, qui marque l’entrée dans la province de Galice.
L’arrivée au Cebreiro est une vraie étape de montagne, par l’altitude et par le tracé du parcours.
Sa célébrité tient à cet aspect géographique, mais aussi au double miracle que la tradition situe en ces lieux.
Un soir de mauvais temps, un moine peu enthousiaste était chargé de célébrer la messe dans l’église, au début du XIV° siècle. Un paysan du voisinage monta au Cebreiro pour entendre la messe, malgré la tempête de neige.

Au moment de l’élévation, le pauvre moine se demandait quelle folie poussait le paysan à sortir de chez lui, dans la neige. Pendant la messe, l’hostie et le vin se changèrent en chair et en sang, pour montrer au moine qui était le plus chrétien. La patène et le calice sont conservés depuis lors, dans l’église du village et l’histoire les assimile au saint Graal.

On raconte que, plus tard, un jeune berger se perdit dans la montagne avec ses troupeaux et le son d’une « alola » (flûte régionale) le guida, à travers le brouillard, jusqu’à l’église du miracle, et il fut ainsi sauvé.

On descend ensuite sur Triacastela.

Le lundi, deux routes sont possibles pour rejoindre Sarria.
L’une plus longue, passe par le monastère de Samos, l’un des plus anciens d’Espagne (VI° siècle). Le style architectural actuel du monastère remonte aux XVI°, XVII° et XVIII° siècles. L’ensemble est un symbole pour la culture de la Galice et de l’Espagne. Les bâtiments se voient de loin, encaissés au fond d’un vallon que le chemin domine, ce qui donne un point de vue magnifique sur l’ensemble.

L’autre route n’a aucun intérêt, sauf de comporter 5 kms de moins. A chacun son choix.
Arrivés à Sarria, il nous reste 115 kms à parcourir. Quand on accomplit le pèlerinage, chaque pèlerin reçoit, en arrivant, un document nommé Compostela, qui est un certificat officiel attestant qu’il a bien effectué le pèlerinage selon les règles. Ce document est remis à tous ceux qui ont parcouru soit 100 kms à pied, soit 200 kms à vélo ou à cheval.
Tous les marcheurs qui veulent obtenir la Compostela doivent donc partir à pied, au moins de Sarria, qui correspond à la bonne distance.
Ainsi, de nombreux pèlerins nouveaux s’ajoutent, dans cette ville, à ceux qui viennent de plus loin.
Cette profusion contribue à donner à l’ambiance générale, un caractère plus compétitif. Je ressens encore plus fort, la course au refuge, pour arriver le premier, pour qu’il reste des places. Un pèlerin anglais malade (il n’a qu’un poumon) arrive en bus après avoir été hospitalisé à Leon. D’autres marcheurs contestent son droit à obtenir une place et la discussion s’envenime. Je constate bientôt que ceux qui ont le plus contesté ont eux-mêmes une voiture qui les attend, au coin de la rue. C’est révoltant, mais qu’y faire ?
Bien que momentanément marginale, la société des jacquets est très semblable à celle des autres hommes. Il y a de tout, comme tout au long des siècles.

C’est ainsi que la route se poursuit vers Portomarin, où l’ancienne ville a été noyée au profit d’un énorme barrage construit de 1955 à 1962. On voit encore les vestiges de l’ancienne cité sous les eaux.
Un village neuf avec des maisons toutes semblables à été construit 100 m plus haut. Certains monuments, comme l’impressionnante église-forteresse San Nicolas ont été démontés pierre par pierre, numérotés et référencés, puis ré- assemblés au centre du nouveau village.

Les deux jours suivants m’amènent à constater que les villages rencontrés sont de plus en plus petits, mais de plus en plus nombreux. On traverse maintenant quelques 15 à 20 villages par étape, soit 3 ou 4 fois plus qu’en Castille.

A Arzua, une surprise m’attend. Des amis bretons qui voyagent en camping-car, sont actuellement en Galice et ont appris mon voyage. Ils me font la surprise de me trouver le soir, après deux ou trois heures de recherche, dans un refuge, au milieu d’un dortoir, où beaucoup dorment déjà à 20 h.
Ce genre de souvenir est irremplaçable et reste gravé dans la mémoire.

Encore deux jours de marche, et c’est l’arrivée à Monte do Gozo, les collines qui surplombent Compostelle et d’où l’on voit pour la première fois les flèches de la cathédrale qui annoncent la fin du voyage, d’où leur nom de Monte do Gozo (Mont de la joie). La statue de deux pèlerins saluant la ville domine une colline, tandis que l’autre est surmontée d’un monument moderne rappelant les pèlerinage de Jean-Paul II en ces lieux.

La descente des 4 kms restants jusqu’à Compostelle est un vrai plaisir. Après plus de 800 kms à pied, l’ambiance, la fatigue, l’attente, tout se combine pour mettre la pression. J’ai décidé avec les 3 allemandes qui finissent le chemin avec moi, qu’il ne fallait pas craquer, et qu’on resterait stoïque jusqu’au bout.

Après une heure de marche, nous voici devant la très célèbre façade de la cathédrale. Et, par hasard, au moment même où nous arrivons devant la cathédrale, une volée de cloches se déclenche et ponctue notre arrivée. Là, c’est trop ! L’émotion l’emporte.

Et quand une japonaise me prend le bras pour que son mari prenne la photo de sa femme avec un pèlerin, je ne suis pas sûr d’avoir pu voir le photographe, ni même sa femme à mon bras.

Dire ce que représente l’arrivée après une telle route, n’est guère possible.

C’est un débordement, un trop plein.

La ville est magnifique. Des monuments à foison. A elle seule, la célèbrissime place de l’Obradoiro,
est constituée de quatre côtés, chacun d’un style différend :
La cathédrale baroque, l’Hôtel des Rois Catholiques plateresque, la Xunta (Conseil Général) de Galice néoclassique, et le séminaire St Jérôme roman.

Arrivé (par calcul) un dimanche, on reçoit d’abord la Compostela, puis c’est la messe solennelle où on annonce le nom et la provenance des pèlerins arrivés le matin.
En ce 5 octobre, ma paroisse est sur l’autel de St Jacques et j’ai plaisir à le faire savoir par téléphone au desservant de mon village.

Que faire ensuite ?

D’abord sacrifier à la mode qui veut que celui qui suit le chemin des étoiles aille jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mer.
90 kms de plus ne sont pas un problème (surtout en taxi) et nous voilà, les 3 allemandes et moi, sur le dernier rocher de Finisterre, au bout du chemin des étoiles, là où on ressent physiquement la paix de l’aboutissement.

C’est aussi l’endroit où un certain « Prestige » n’a pas fait honneur à son nom.

Il me semble ensuite qu’il vaut la peine d’aller jusqu’à Padron, à 20 kms au sud-est de Compostelle, endroit où la légende veut que la barque sans gouvernail, portant depuis la Palestine le corps de l’Apôtre, ait accosté, après sa décapitation à Jérusalem en l’an 44 de notre ère.

Puis, c’est le retour à Compostelle. Les visites inoubliables sont innombrables.
Et décrire tout ça est impossible. Et l’émotion ne vaut que dans les conditions de la route. Comme toujours, l’expérience peut être racontée, mais pas communiquée.
Quand on fait le bilan d’un peu plus d’un mois de marche, on sait qu’on a appris des choses irremplaçables.
_Le mot qui surgit au-dessus des autres pour symboliser ma route, c’est le mot :
rencontre.
Rencontre
avec la montagne,
les rivières,
la pluie qui m’emmerde,
le soleil qui me cuit,
avec les arbres,
avec les oiseaux, le matin vers 7 h.
Ah ! les discours avec les oiseaux, si bavards au petit matin, qui vous racontent leur joie de vivre sans arrière-pensée.
Rencontre avec les habitants au long de la route
Avec cet homme âgé qui demandait à chaque pèlerin d’écrire un petit mot sur son carnet (il avait plusieurs carnets pleins dans sa poche)
Avec les autres pèlerins à l’étape
Avec ce compagnon de route lillois avec qui je reste en contact, et que je salue encore ici,
Avec ce jeune bordelais qui cherchait une sagesse, un mode de vie
Avec les jeunes allemands rayonnants de simplicité
Rencontre avec soi-même, jour après jour.
Et pour ceux qui le souhaitent, avec celui qui nous dit : « Je suis le Chemin ».
J’ai, comme tout le monde, croisé ceux qui font le chemin au rythme d’une ou deux semaines par an, ceux qui le font plutôt avec les nuits à l’hôtel, ceux qui utilisent des voitures pour porter le sac.

Chacun est respectable, si chacun fait ce qu’il peut.
Mais aucun n’est comparable, car chaque vie est unique.

Je crois qu’à Finisterre, j’ai un peu senti la paix.
A Compostelle, j’ai peut-être appris un peu de tolérance.
Certainement sur le chemin, j’ai appris à écouter.
Si l’écho de ces découvertes dure en moi, un ou deux mois, c’est bien.
Si le bénéfice est plus durable, c’est tout bénéfice.

Dans le train qui nous ramène en une journée à l’endroit que nous avons quitté il y a plus d’un mois, le paysage défile derrière la vitre.
J’ai lu qu’aller vers l’Occident signifie aller vers la mort.
Mais après la mort, c’est la résurrection. Le retour vers l’Orient est donc un retour à la vie.
C’est une longue route vers la rencontre, et donc vers le pardon.
C’est pendant le retour que l’on commence à soupçonner l’enjeu de la démarche.
Je commence à comprendre.
_, Je suis revenu.
Le voyage commence. J.P.B. Hiver 2003