Le Chemin est comme l’image de notre vie.

Chemin de poésie, Chemin qui fait découvrir les merveilles de Dieu, Générosité du Chemin, Chemin qui ouvre le cœur, Chemin gardé par des anges, Chemin de guérison, Chemin qui nous ouvre à l’entraide et au partage, Chemin qui nous enseigne le service et la charité, Chemin qui nous relie les uns aux autres, Chemin qui nous apprend à être patients, Chemin qui nous enseigne l’humilité.
Du Puy jusqu’à St Jacques on traverse les paysages les plus variés et en cela le Chemin est un peu l’image de notre vie.
Il y a des étapes plus longues et d’autres plus courtes. Il y a des passages où la végétation est luxuriante et l’air rempli de suaves parfums. Parfois le Chemin est facile et tout semble merveilleux. A d’autres moments le paysage est désolé, c’est la pluie qui s’en mêle et on n’a les pieds dans la boue. Et pourtant, il faut continuer de marcher.
Parfois, on marche dans des paysages de rêve et on se croirait au paradis. Mais à d’autres moments le chemin est difficile, il y a des pierres sous les pieds, on a faim, on a soif, on a des ampoules, on est fatigué, on marche dans le brouillard ou dans la nuit. (Tous les matins je partais bien avant le lever du jour cherchant le fléchage une torche à la main.) Mais on continue de marcher.
Il y a des gîtes très confortables ou rien ne manque et il y en a de plus pauvres où l’on est au moins à l’abri. Parfois il faudra se contenter de dormir sur le sol... ou dans un pré !
Qu’est-ce qui se profilait au détour du Chemin ? Quel temps allait-il faire ? Quel paysage allais-je découvrir ? Qu’allait-il m’arriver ? Qui allais-je rencontrer ? Où dormirais-je le soir ? Le pèlerin est essentiellement un homme qui découvre, qui accueille, et qui rend grâce.
Car ce Chemin est un lieu qui sans cesse nous surprend, bien souvent nous émerveille et jamais ne correspond à notre logique.
Ce sentiment m’a beaucoup habité. Ayant quitté pour quelques semaines ma vie de travail, je me suis trouvé plongé, immergé dans un univers qui n’était plus du tout rationnel.

Plus d’agenda, plus de rendez-vous, plus d’urgences, plus de réunions (chouette !) plus de priorités, plus de voiture à conduire.
Aller d’un point à un autre en évitant au maximum toutes les routes goudronnées ce qui impliquait un itinéraire qui parfois se plaisait à rajouter les obstacles et les kilomètres, décrivant des boucles invraisemblables, se plaisant à tourner le dos à la direction qu’il reprendrait plus loin, descendant au fond des ravins pour avoir le plaisir de les remonter... comme si le Chemin voulait se jouer des désirs du pèlerin, exercer sa patience, lui apprendre à plus s’abandonner.
Et lorsque j’ai voulu jouer au plus malin, ce n’est pas moi qui ai gagné. Je raconterai pour exemple une petite anecdote :
J’ ai eu, durant quelques étapes, un compagnon de route qui s’appelait Gilbert. C’était un Belge Flamand, grand habitué de la randonnée. Nous faisions route ensemble quelque part dans le Béarn. En regardant attentivement notre carte, nous avions remarqué qu’il était possible, en quittant le GR, de continuer tout droit et de gagner ainsi du temps en prenant ce qui était censé constituer un raccourci. D’après la carte cela nous semblait très évident. C’était l’affaire d’un kilomètre au grand maximum.
Seulement voilà, au bout de quelques centaines de mètres une chaîne barrait le chemin avec un écriteau indiquant : " propriété privée, défense d’entrer ". Ne voyant pas dans l’immédiat matière à violer une quelconque intimité, j’insistai pour aller au delà de cette barrière ce qui, soit dit en passant, cadre très mal avec l’esprit du pèlerin.
Le chemin semblait s’effacer à mesure que nous avancions. Très rapidement nous nous trouvâmes au milieu d’un bois touffu, envahi par les ronces et les broussailles, ayant perdu tout sens de l’orientation. Ce n’est qu’après deux heures d’une marche pénible que nous avons pu retrouver le Chemin dont nous nous étions totalement écartés.
Ce fut une leçon. Oui Seigneur, non pas ma volonté, mais Ta volonté.
Ce Chemin, non pas mon chemin à moi mais le vrai Chemin de St Jacques, voulait donc m’attirer ailleurs que dans l’univers rationnel et froid d’une logique d’efficacité. Espérons que les 1600 km auront été suffisants pour qu’enfin j’en sois pénétré.