Miséricorde et générosité du Chemin.

Il est incontestable que le Chemin ouvre le cœur de multiples façons et qu’il suscite bien souvent des paroles, des élans, des initiatives toujours plus nombreuses.
Bien sûr tout n’est pas toujours gratuit dans ce qui est proposé au pèlerin et c’est normal, mais malgré tout, peut-être à cause de l’admiration que l’on porte à son aventure, que ce soit en France ou en Espagne il est l’objet de beaucoup d’égards.
Tous les récits de pèlerins abondent d’exemples à ce sujet et pour moi c’est donc le Chemin lui-même qui est une occasion permanente, presque une source, pour pratiquer la générosité. Un jour que ma gourde était vide et que je dus frapper à la porte d’une maison pour avoir de l’eau c’est tout mon repas qui me fut apporté.
On est souvent témoins ou même acteurs de beaux gestes d’entraide entre pèlerins, mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est ce Chemin qui sans cesse provoque de telles situations. Comme c’est d’ailleurs le cas dans l’Evangile. Je me suis trouvé moi-même confronté à une telle expérience et je n’ai pas eu beaucoup de mérite à jouer au bon samaritain.
Un jour que je marchais en Espagne, au milieu d’une forêt de chênes, dans une région considérée autrefois comme des plus sauvages et quelque peu dangereuse, du côté des " Montes de Oca " je vis, soudain, un pèlerin assis au bord du Chemin. Le pauvre était dans un état à faire pitié. Ne cessant de vomir, titubant dans ses moindres déplacements, il se disait victime d’une intoxication alimentaire.

Que faire ? Nous étions loin de tout. Je tentai durant quelques mètres de porter son sac en plus du mien ; un par devant et l’autre par derrière mais, même déchargé de son sac, le pauvre diable ne pouvait mettre un pied devant l’autre.
Je lui proposai donc de m’attendre, le temps que j’aille chercher du secours. Au bout de quelques kilomètres j’entendis enfin les cloches du village voisin. Je vis un cultivateur qui passait avec son 4/4. Il accepta bien volontiers de retourner avec moi pour ramener notre pèlerin au village et me confia que cela n’était pas la première fois qu’il avait à secourir un pèlerin en difficulté. Et lorsque je lui proposai de le dédommager, au moins pour l’essence, il refusa catégoriquement.
Dans le même genre d’expérience, mon ami Gilbert me raconta comment il avait dû venir en aide à une pèlerine.
Dans la partie française, un peu avant Conques, lui et un compagnon de route se trouvèrent soudain en présence d’une femme assise au bord du Chemin. Cette femme était seule, son sac était manifestement trop lourd et elle avait marché trop longtemps. Epuisée, ne sachant que faire, elle était restée là et s’était mise à pleurer. Gilbert et son ami la réconfortèrent, ils se chargèrent chacun d’une partie de son sac et elle put ainsi continuer jusqu ’à l’auberge.
On dira peut-être : C’est normal ! Que pouvaient-ils faire d’autre ?
Sans doute ! Mais pour ma part je remarque que c’est sur ce Chemin que cela se passe. Et que c’est toujours ce Chemin qui ouvre notre cœur. C’est pourquoi j’aime le comparer à notre vie.
Dans notre monde il y a beaucoup de gens qui vivent dans la détresse. Comme cette femme qui était en pleurs ; mais elle était restée sur le Chemin.
Dans la vie nous sommes tous des pèlerins. Lorsqu’on n’a plus la force de marcher, il faut éviter de s’égarer et tenter de rester sur le Chemin. Comment ? Peut-être, pour certains, en allant jusqu’à St Jacques... !
On pourrait donner encore beaucoup d’exemples pour montrer combien le " Camino " ouvre le cœur des gens et combien les pèlerins sont gâtés.
C’est encore mon ami Gilbert qui m’a raconté l’anecdote suivante : Alors qu’il passait le long d’un champ de cultures de fraises et voyant qu’une femme était en train d’en récolter, il lui demanda s’il pouvait en goûter. La femme lui répondit : " Mais bien sûr, c’est la fin de la récolte, vous pouvez prendre tout ce que vous voulez ! " Et lui proposant de goûter les différentes variétés, il en fut littéralement gavé !
Autre exemple : Les pèlerins trouvent, tout au long du Chemin, des fontaines dont certaines spécialement aménagées, pour remplir leur gourde, mais surtout il y a un endroit bien connu, non loin de Burgos où les pèlerins trouveront, pour s’abreuver, deux robinets : l’un qui fournit de l’eau et l’autre d’où coule un très bon vin de la Rioja à volonté et gratuitement !!
Ce sont là quelques exemples. On pourrait en remplir des pages.
Enfin je voudrais dire quelques mots des " hospitaliers ". Ce sont les personnes qui sont chargées de l’accueil des pèlerins dans les refuges en France et en Espagne. Dans la plupart des cas j’ai été émerveillé par leur disponibilité, leur compétence et leur délicatesse.

Leur compétence par ce qu’avant de se mettre au service des pèlerins ils ont eux-mêmes fait le " Camino " en entier et qu’ils en ont donc une bonne expérience.
Leur disponibilité car ce sont des bénévoles qui ne comptent pas leur temps et qui peuvent avoir à s’occuper de pèlerins en difficulté.
Enfin leur délicatesse s’exprime dans la façon dont ils savent accueillir les pèlerins fatigués, portant leur sac lorsqu’il y a un étage à monter, se proposant parfois de soigner leurs ampoules...
Lorsqu’on a été accueilli de cette façon, c’est une leçon qu’on a envie de répéter soi-même. Etant un pèlerin qui faisait des distances parfois plus longues que la moyenne, j’eus droit à deux reprises, à un traitement particulier.
Voici comment les choses se passèrent : A mon arrivée au refuge de O Cebreiro, l’hospitalière m’annonça d’abord : " Todo està completo " Traduction : " Plus de place ".
Dans ce cas-là, on peut toujours dormir par-terre mais, ayant manifesté à l’hospitalière que cela ne m’enchantait guère, elle poursuivit néanmoins l’interrogatoire habituel pour l’enregistrement.

  • Quel âge avez-vous ?
    -56 ans
  • D’où venez vous ?
  • De Ponferrada.
  • Non ! Je vous demande d’où vous venez, aujourd’hui.
  • Eh bien ! Je vous ai dit, je viens de Ponferrada !
  • De Ponferrada... !!!
  • Oui, je sais c’est assez loin.
    ...Après une seconde de réflexion...
  • Dans ce cas, suivez-moi, j’ai de la place à l’infirmerie.
    J’eus droit à ce régime à deux reprises, ce qui me valut de dormir bien plus confortablement.